On a certes quelques préventions sur le concert de la soirée du 29 juillet, en plein air comme plusieurs des concerts du Festival International de Marvão – cette fois-ci dans le site romain d’Ammaia, au pied de la citadelle –, une Cinquième de Mahler par un orchestre et un chef qu’on ne connaît pas encore... Ces préventions seront vite levées.

Après une création obligée – et sans originalité – de la jeune compositrice portugaise Inés Badalo (le programme est muet sur l’œuvre et son auteur), on se demande comment la centaine de musiciens serrés comme des sardines (c’est le pays !) vont se sortir d’une partition qui pour être familière au public reste l’une des plus périlleuses de son auteur. Dès l’appel de trompette initial, on pressent qu’on ne sera pas déçu : les solistes, l’ensemble des pupitres de l’Orquestra XXI, vont faire une démonstration éblouissante de cohésion, de précision et de virtuosité collective, jamais prises en défaut.
Il faut dire un mot de cette phalange : Orquestra XXI est d’abord une aventure d’amitié, une formation – de très haut niveau – constituée, en 2013, de jeunes musiciens portugais travaillant tous dans de grandes phalanges étrangères, qui ont envie de se retrouver trois fois par an dans la mère patrie sous la houlette du fondateur, le chef d’orchestre – portugais lui aussi – Dinis Sousa.
La maîtrise dont fait preuve ce jeune chef (35 ans), qui a fait des débuts éclatants l’an dernier aux Proms à la tête du Northern Sinfonia dont il vient de prendre la direction, est aussi impressionnante qu’enthousiasmante. Il se « contente », si l’on ose dire, de diriger tout et seulement tout ce qui est expressément écrit par Mahler. Faut-il rappeler que le chef de l’opéra de Vienne, compositeur l’été, est d’une redoutable précision dans ses indications de nuances, de tempos, d’intentions dans ses partitions ? Le compositeur disait d'ailleurs de sa Cinquième Symphonie : « ici n'y a pas d'appel aux mots, tout est dit en termes purement musicaux. Ce sera aussi une symphonie simple en quatre mouvements, avec chaque mouvement indépendant et complet en lui-même, et en rapport avec les autres seulement par l'ambiance commune ».
Dinis Sousa met très exactement en œuvre les intentions du compositeur. Il ne s’épuise pas en gesticulations, il tient et soutient ses musiciens d’un regard qui voit tout, d’un geste économe qui ne laisse aucun pupitre à l’écart. Il n'oublie jamais la trajectoire, ne s'égare pas dans un séquençage auquel succombent trop souvent des baguettes qui, ce faisant, s'exonèrent de la volonté de Mahler. Il nous captive de bout en bout, sans recourir à la sollicitation ou à l'artifice. Comme un vaste discours dont l'éloquence semble couler de source.
La sécheresse du plein air joue ce soir en faveur de l’orchestre. La réverbération des grandes salles, pour flatteuse qu’elle soit, oblitère souvent la complexité d’écriture, la foule de détails instrumentaux, les différents plans sonores voulus par Mahler. Ce soir, sous la forteresse délicatement illuminée de Marvão, on écoute comme on pourrait la lire la partition, transparente, comme radiographiée.
Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu une aussi belle Cinquième de Mahler. Les grandes salles de concert d’Europe seraient bien inspirées de la programmer avec cette belle équipe, et d’inviter un chef aussi prometteur.
Le voyage de Jean-Pierre a été pris en charge par le Festival international de musique de Marvão.