Des Messie au moment de Noël, il doit y en avoir un sacré paquet. Mais combien seront-ils à entraîner l’auditeur dans cette fête ? Orchestre, solistes et chœurs du Concert de l'Hostel Dieu l’ont fait assurément ce mardi soir en l’église Saint-Bonaventure, en proposant une interprétation fine de l’œuvre, et en invitant le public à une participation chantante.
C’est par les sons orchestraux de la première symphonie que Franck-Emmanuel Comte dévoile l’approche nuancée de Haendel qui sera celle du Concert de l’Hostel Dieu. L’orchestre, qui dans les conditions d’une église hivernale met seulement quelques mesures à construire sa sonorité, introduit le ténor de Matthieu Chapuis, à qui le baroque haendélien va comme un gant. Très à l’aise dans ses médiums fondus, il fait preuve d’une belle technicité : véloce et allègre, le coup d’envoi vocal de ce Messie est réussi.
Le relais pris par les choristes montre leur engagement et leur disponibilité dans l’entreprise : dans cette œuvre qui est longue, difficile, riche en fugues et en responsabilités individuelles et collectives, on ne prendra pas en défaut les chanteurs sur ce plan. Leur enthousiasme est contagieux, et toute indication du chef, aussi discrète soit-elle, est suivie. Ces ténors sautillent comme pour une danse dans le chœur final de la 1ère partie, quitte à perdre un tout petit peu la cohérence de leur pupitre, mais cela paraît un détail. Passionnée aussi la fugue « He trusted in God », et solide la fanfare masculine dans « The Lord gave the word » : même Franck-Emmanuel Comte ne tient plus en place sur son estrade, dans cet emportement victorieux. Les parties a cappella du « Since by man came death » exhibent les qualités du chœur ; globalement, je suis séduite plus encore par ces parties chorales en legato, car on y perçoit mieux la construction du son que dans les difficiles courses mélodiques. Ce défi est relevé au mieux par le jeu collectif du pupitre de soprano, le plus homogène des quatre.
Instillées entre les parties chorales, les parties des solistes, airs et récitatifs : leur interprétation, grâce aux talents individuels, à la direction et à la sensibilité de l’orchestre, est un régal. Jean-Baptiste Dumora est pris par des tressaillements vocaux expressifs quand la partition dicte « Shake » et son ample basse (qu’il est inutile de brusquer dans les aigus) rayonne triomphalement dans « The trumpet shall sound », en duo avec la belle trompette baroque domptée par Amélie Pialoux. En soprano, Margo Arsane étonne par la multiplicité des rôles et des masques que sa voix très claire est prête à investir. Détaillant ses doubles croches au scalpel, elle ornemente aussi délicatement son discours (« Rejoice greatly, O daughter of Sion »), s’appuyant sur le violoncelle attentif de Cécile Vérolles. Si dans les deux premières parties, on désire juste un peu plus de rondeur dans ce timbre, celui-ci se répand tout en douceur ensuite : « I know that my Redeemer liveth » développe de beaux sons filés, l’air est magnifiquement empli d’une certitude épanouie et sereine.
La voix d'Anthea Pichanick, généreux contralto, fait une fois de plus le ravissement de l’auditoire : crachant le feu avec une autorité naturelle (« But who may abide"), elle accentue avec emphase, suivie par l’orchestre, plonge dans l’émotion la plus profonde, dolorosa, dans « He was despised » et fait sentir les crachats dramatiques qui pleuvent sur le Christ dans la Passion – et ça avec une énergie telle qu’on croit entendre It’s raining men à la place à la place du Messie.
L’orchestre, sous la baguette de son chef alerte, est tonique et gracieux, l’esprit du baroque y est, on est successivement bercé, secoué, attendri et animé par cet ensemble qui s’écoute, qui veille à l’équilibre.
Le moment attendu par l’audience est enfin arrivé : le tube est déjà dans toutes les têtes depuis le début, et maintenant, quelques voix de la salle, entraînées juste avant le concert, rejoignent enfin la grande messe dans l’ « Hallelujah ». L’effet produit ? Critique embedded et partie prenante dans le chant, j’ai n’ai plus pendant trois minutes la pleine extériorité par rapport à ce qui se passe. Mais mon impression toute subjective est d’être momentanément happée par un tourbillon de l’espace-temps, qui me transporte dans la ville de Londres à l’époque de Haendel ou dans la Leipzig de Bach, où les paroissiens, eux aussi, entonnaient les chorales connues des oratorios et des Passions… Et il faut croire que le reste du public a aimé aussi, à en juger le tonnerre d’applaudissement à la reprise (obligée) de ce morceau en bis, encore plus enlevée, encore plus festive, encore plus pleine : un triomphe en toute humilité baroque.