Avec sa nouvelle pièce MOMO présentée à La Villette en tant qu'événement du Théâtre National de Chaillot « nomade », le chorégraphe Ohad Naharin à l’origine du mouvement « gaga » est de retour à la création, cinq ans après Venezuela, sa précédente et brillante composition. À la tête de la Batsheva Dance Company depuis 1990, compagnie dont il a refondé le style pour la propulser à un niveau de renommée artistique mondiale, le chorégraphe israélien a littéralement bouleversé les codes de la danse contemporaine tout en attirant, année après année, des danseurs aussi cosmopolites que talentueux. Mettant en scène l’ambivalence des hommes et de la violence dans un mouvement aussi épuré que génial, MOMO s’ajoute à la liste longue des œuvres remarquables d’Ohad Naharin.

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MOMO d'Ohad Naharin à La Villette
© Ascaf

Avant que la lumière ne s’éteigne dans la salle, quatre hommes entrent sur scène d’un pas lent. Le torse nu, vêtus de pantalons cargo gris, ils avancent groupés en arrière-scène, puis longent le côté cour. Ce quatuor homogène, aux corps athlétiques, entreprend des mouvements à l’unisson et à l’allure virile : postures ancrées dans le sol rappelant celles des arts martiaux, poings fermés, regards intensément concentrés vers un point à l’horizon. Telles des sentinelles abstraites, ils se déplacent dans des marches profondes, coordonnées, balayant l’espace du regard et se positionnant dans des formations précises (lignes, rondes ou quinconces).

À la fois grave et mâle, leur mouvement se suspend dans un flottement habité d’une étrange présence et une apesanteur pleine de grâce, notamment lorsqu’ils se rassemblent en grappe contre le mur d’arrière-scène et l’escaladent lestement. Cette masculinité affichée est aussi celle d’une camaraderie fusionnelle et ambiguë : ils ne cessent de se soutenir, de se porter les uns les autres, ou de se toucher. Ils se tiennent à distance mesurée les uns des autres, se serrent, s’avancent menton contre menton et, à quatre pattes, enfouissent leur visage dans le derrière de leur camarade de devant tout en chantant un chant traditionnel.

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MOMO d'Ohad Naharin à La Villette
© Ascaf

Un deuxième groupe, constitué d’électrons libres aux costumes dépareillés et au mouvement libre, les rejoint sur scène progressivement. Un homme en justaucorps de velours rose surgit, suivi d’une femme dressée sur la pointe des pieds, ou encore d’un homme torse nu, vêtu d’un simple jupon de tutu en tulle – incroyablement interprété par le danseur Gianni Notarnicola.

Tout au long de la chorégraphie, les deux ensembles évoluent en contrepoint. D’un côté, on retrouve l’uniformité et le rythme maîtrisé des quatre hommes ; de l’autre, les gesticulations désordonnées, lascives et parfois même clownesques des sept solistes. Les tableaux se répondent de façon contrastée ou équivoque : alors que les quatre hommes fendent l’air en poussant des cris martiaux, un autre assis par terre en grand écart remue son fessier de façon drolatique. La bande-son abstraite s’étire, ponctuée par des accents tragiques de violon.

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MOMO d'Ohad Naharin à La Villette
© Ascaf

On ne saurait dire ce que représente en creux ce groupe anarchique de solistes : la facette féminine d’une virilité ambivalente ? Des civils à la fois frivoles et persécutés en opposition à l’image guerrière que renvoie la patrouille des militaires ? De façon répétée, les sept danseurs désassortis se figent et lèvent la main avec un regard intense adressé au public, comme pour porter un appel. Dans une superbe scène sur la partition de Metamorphosis II de Philip Glass, les quatre hommes se nichent en haut du mur, telles des statuettes de Bouddha logées dans des alcôves, et surplombent la scène où sont convoquées splendeur et horreur : les danseurs restés à terre gesticulent et se suspendent magnifiquement à des barres de danse classique, avant d’être secoués par des pulsations sourdes, de plus en plus rapprochées, qui évoquent des bombes.

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MOMO d'Ohad Naharin à La Villette
© Ascaf

Les deux groupes finissent par avoir des interactions physiques et se mêler : une femme s’approche des quatre hommes et les touche avec tendresse, puis les groupes se fondent dans une seule et même ligne, où tous tournoient les mains nouées dans le dos. Mais comme si l’ordre établi devait toujours reprendre le dessus, tous repartent comme ils sont venus, les quatre hommes en sautillant d’un étrange air gaillard. Convoquant des thèmes souvent présents dans l’art de Naharin (masculinité, violence), cette œuvre se distingue pourtant par sa construction originale en contrepoint et, comme toujours, nous transcende par sa danse à la fois si sobre et si vibrante.

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