2025 aura été l'année des concours de piano comme toujours accompagnés de scandales. Moins par la qualité des vainqueurs qu'à cause de concurrents éliminés par les jurys des compétitions Chopin de Varsovie, Van Cliburn aux États-Unis ou encore Reine Elisabeth de Belgique – le Concours Clara Haskil échappera à cette opprobre. Le Concours de Bruxelles a ainsi vu l'élimination de Magdalene Ho (lauréate incontestée du Prix Clara Haskil en 2023) et de Vladislav Khandohi (Deuxième Prix du Concours de Sidney 2023 et finaliste du Van Cliburn 2022 – l'année où Yunchan Lim n'aura laissé guère de place à d'autres que lui dans la mémoire des auditeurs). Ces deux pianistes ne méritaient peut-être pas le Premier Prix face à Nikola Meeuwsen, mais en tout cas bien de recevoir une médaille.

Venons-en justement à ce fameux Nikola Meeuwsen : Néerlandais né en 2002 à La Haye, il a travaillé avec divers professeurs dont l'Italien Enrico Pace à la célèbre Académie d'Imola et le Français Frank Braley à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Bruxelles. Il était vendredi dernier l'invité parisien des Pianissimes qui depuis vingt ans réalisent un travail irremplaçable pour faire entendre un grand nombre de jeunes pianistes (récipiendaires ou pas de grands concours), dans diverses salles parisiennes.
La Salle Cortot accueillait donc ce grand jeune homme qui est justement un grand admirateur du fondateur de l'École normale de musique et dont il dit, lui qui collectionne les phonographes, qu'il est le premier pianiste qu'il a entendu sur disques. Meeuwsen avait choisi pour commencer une sonate de Mozart, celle en mi bémol KV 282 dont l'entame surprend par une indécision qui accentue son caractère questionneur, en raison d'un phrasé peu accentué, peu articulé et d'une joliesse qui va contaminer tout le mouvement. Celui-ci se dilue dans un surplace que les deux menuets du deuxième mouvement réveilleront un peu... et seront à peu près les seules pièces du récital qui verront Meeuwsen tenir un tempo sans bouger pour des raisons inexplicables.
On se demande donc comment il va pouvoir jouer la Ballade n° 3, lui dont Cortot est le héros. Pas bien du tout : sans pulsation, sans phrasés intelligibles, d'une façon incertaine et complaisante. Ce jeune musicien s'écoute beaucoup plus qu'il n'écoute l'harmonie et la polyphonie : son jeu n'a ni direction ni pulsation et sa pédale traine. La sonorité est belle dans le piano et le mezzo forte, mais elle disparaît dans le pianissimo détimbré et vaporeux et devient dure dans le fortissimo. C'est à peine si la seconde partie de la ballade décolle, même dans la dernière page et les doigts calent un peu. Par chance, ses « phrasés » ne sont pas affectés par des ritardandos maniérés, mais se fait jour une manie qui devient vite horripilante : Meeuwsen fait un sort à des voix secondaires qui ne lui ont pourtant rien demandé, il les cloue au pilori et les y abandonne, faute de leur donner une signification qu'elles n'ont de toute façon pas.
Une telle absence de sens de la forme, de pulsation, de tempo giusto défigure les trois Intermezzi op. 117 de Brahms qui n'ont aucune ossature, pas de tension, se diluent en un flux trop lent duquel là encore émergent des notes et des voix intermédiaires qui deviennent plus importantes que tout, croit-on un instant, mais que le pianiste laisse pourtant parfois tomber en cours de route. La Fantaisie op. 17 de Schumann ne réchappera pas de cette façon incompréhensible de ne pas jouer ce qui est écrit de façon respectueuse sinon littérale : l'art de l'interprétation consiste à regarder le texte tel qu'il est et pas tel qu'on voudrait qu'il soit.
De retour d'une tournée triomphale qui l'avait conduit dans les deux Amériques après son Premier Prix Marguerite Long, Aldo Ciccolini, qui sentait bien que quelque chose n'allait pas malgré ses triomphes publics, était allé jouer, nous avait-il confié (dans un jury de concours !), « pour Alfred Cortot dont je savais qu'il était le seul à Paris qui me dirait la vérité sans complaisance ». L'expérience sera rude, mais le grand pianiste et professeur d'ajouter : « c'est la plus grande leçon de musique que j'ai reçue de ma vie. » Ce qui montre bien qu'un artiste est toujours en devenir, et que son destin musical est entre ses mains.

