Presque 18 ans après une « Symphonie imaginaire », titre d'un des albums de musique baroque les plus marquants des années 2000, Les Musiciens du Louvre menés par Marc Minkowski reviennent pour une Nouvelle Symphonie imaginaire avec voix. Ils renouvellent ce soir le programme mais conservent la même formule : un recueil d’airs tendres ou gais, d’ouvertures tonitruantes et de danses enivrantes tirés d’opéras de Jean-Philippe Rameau, où viennent cette fois-ci s’ajouter quelques airs de baryton interprétés par Thomas Dolié.
L’ensemble fonctionne à merveille et jamais ne point l’ennui en cette heure et demi de concert sans entracte. On pourrait simplement regretter la petite forme du baryton de la soirée. Dans des airs certainement trop graves pour sa voix, Thomas Dolié n’a pas réellement pu nous convaincre, malgré un « Monstre affreux », l’air ô combien redoutable d’Anténor dans Dardanus, tout en retenue, qui présentait un certain charme.
L’extraordinaire performance des Musiciens du Louvre n'appelle en revanche aucune réserve. Évoluant dans cette musique comme s’il s’agissait de leur langue maternelle, l’ensemble baroque confirme, avec Minkowski à sa tête, qu’ils sont certainement les plus grands défenseurs de la musique de Rameau à l’heure actuelle. Si l’on a pu, dans de précédents enregistrements, froncer les sourcils face aux excentricités de tempo que proposait le chef parisien, il n’en est rien aujourd’hui. Les choix de tempos, quoique rapides, s’imposent d’eux-mêmes, afin de modeler et de propulser cette musique dans tout ce qu’elle a de plus galvanisant. Les musiciens déploient en effet une énergie phénoménale, capable de figurer la tempête déchaînée aussi bien que les hésitations de l’amour.
Malgré quelques excès de vitesse au métronome, Marc Minkowski parvient à conserver le rebond de la danse au sein des gavottes et des rigaudons. La majesté presque pataude de l’air de musette dans La Naissance d’Osiris approfondit également les contrastes que le programme impose à cette soirée. Car s’il est un paramètre qui façonne l’écriture baroque et encore davantage la direction de Minkowski, c’est la mise en exergue des contrastes de caractères, de tempos ou de dynamiques. Et l’on peut ce soir observer l’efficacité de ces nuanciers qui permettent aussi bien de se lever et danser sur les tambourins de Castor et Pollux que de s’émouvoir et frissonner au son délicat des flûtes d’Annie Laflamme et Jean Brégnac sur les airs des Indes Galantes.
Il est pourtant encore des paramètres dans l’interprétation des Musiciens du Louvre qui portent la musique du Rameau à son sommet. À commencer tout simplement par les extraordinaires qualités des timbres de l’orchestre qui possèdent quelque chose de rugueux et boisé, de presque tangible dans la texture. Outre la perfection absolue des deux flûtes, on peut également vanter la vaillance des quatre bassons, tendres ou goguenards en fonction des affects, ou bien encore l’extraordinaire virtuosité de l’ensemble des cordes, qui affrontent avec une sérénité sidérante les traits les plus périlleux du répertoire de Rameau. Enfin, on louera aussi la théâtralité des interprétations du maestro : lorsqu’il prit la parole pour nous présenter la seconde partie du programme, il nous annonça un véritable feu d’artifice pour l’extravagante ouverture d’Acanthe et Céphise et c’est bien ce qu’il nous a servi ! Avec l’arrivée tonitruante des clarinettes et les puissants coups de tocsin, les Musiciens du Louvre ont pu littéralement enflammer la Grande Salle Henry Le Bœuf de Bozar.
Au cours des trois bis qui concluront la soirée, Marc Minkowski choisira de rendre un vibrant hommage à trois grandes personnalités du monde baroque qui nous ont quittés cette année, Marie Leonhardt, Alice Harnoncourt et Jean-Philippe Vasseur, en nous proposant la déchirante et non moins apaisante « Entrée de Polymnie » dans Les Boréades.