À l'occasion de l'inauguration de l'exposition « La Collection Morozov. Icônes de l'art moderne », la Fondation Louis Vuitton organise deux concerts exceptionnels, dont les têtes d'affiche ne peuvent que laisser songeur : Valery Gergiev à la tête de l'Orchestre du Théâtre Mariinsky avec Yuja Wang en soliste le premier soir. Le lendemain, le même orchestre s'associera au pianiste Alexandre Kantorow et au violoniste Daniel Lozakovich. Le programme de cette première soirée est à l'image de la Collection Morozov, avec des œuvres emblématiques qui puisent au meilleur de la musique française et de la musique russe.

Valery Gergiev et l'Orchestre du Théâtre Mariinsky
© Fondation Louis Vuitton | Gaël Cornier

Faire rentrer un orchestre symphonique dans l'auditorium de la Fondation Vuitton, plus rompu à l'intimité du piano solo ou de la musique de chambre, relève du véritable défi. Une grande première pour cette salle, qui avait déjà accueilli des orchestres de chambre comme la Kremerata Baltica ou le Mahler Chamber Orchestra. La scène est légèrement remaniée pour l'occasion : les percussions sont surélevées en arrière-scène, de même que les cuivres et le célesta. Chose rare en concert, le public est presque aussi nombreux que les musiciens sur le plateau, malgré la salle pleine à craquer. Allié à la proximité de l'orchestre, cela fournit au spectateur une impression pour le moins singulière, qui sera en grande partie responsable de la magie de la soirée. C'est comme si une relation d'égal à égal entre les musiciens et le public s'instaurait, où chaque auditeur rentre dans l'intimité de chaque pupitre, de chaque musicien. L'orchestre n'est plus cette masse lointaine, impersonnelle, mais se transforme en un kaléidoscope de visages et d'instruments, sans pour autant perdre de son unité ni de sa dimension organique, massive.

La Pavane pour une infante défunte est prise sur un tempo allant, qui lui confère une élégance chaste, sans excès de lyrisme ni d'effets. La souplesse mélodique du cor s'assoie sur des pizzicati tout en retenue. Le phrasé de Gergiev est d'une limpidité et d'une intelligence remarquables, servi par un orchestre à l'unisson garant d'un son rond et plein.

On ne pouvait imaginer œuvre plus à propos, dans le contexte de l'exposition Morozov, que les Tableaux d'une exposition dans l'orchestration de Maurice Ravel. D'abord parce qu'elle a été inspirée à Moussorgski par des peintures et aquarelles, celles de Viktor Hartmann, ensuite parce qu'elle réunit ce qui peut être considéré comme l'essence des musiques russe et française : la profondeur de l'inspiration d'un côté, le raffinement de l'écriture et la richesse des sonorités de l'autre. Gergiev, en symbiose totale avec l'orchestre, est ici chez lui, et ça se sent. Tout, dans les choix d'interprétation, concourt à mettre en valeur l'aspect féérique de la partition. Le chef n'hésite pas à étirer le temps dans Il Vecchio Castello, Bylbo ou La Grande Porte de Kiev, quitte à s'appesantir même, afin de servir la dimension grandiose et solennelle. Dans Tuileries ou Limoges, la précision des articulations et la rutilance des timbres participe du côté espiègle et joueur. La palette orchestrale est d'une richesse impressionnante, et les solistes excellents : on pense notamment à la partie de saxophone dans Il Vecchio Castello, ou la trompette dans Samuel Goldenberg et Schmuyle.

L'Orchestre du Théâtre Mariinsky
© Fondation Louis Vuitton | Gaël Cornier

Si la puissance sonore de l'orchestre du Mariinsky donne une dimension jouissive aux Tableaux d'une exposition, on regrette qu'elle entraîne un déséquilibre dans le Concerto no. 2 de Rachmaninov, malgré les efforts de Yuja Wang pour ne pas se laisser couvrir par l'orchestre. L'équilibre s'améliore petit à petit dans l'Adagio et l'Allegro. La pianiste profite des passages à l'écriture orchestrale plus dépouillée, quand elle est sûre d'être entendue, pour aller côtoyer les pianissimi, notamment sur la fin des phrases. La souplesse féline et la vivacité du jeu servent une expressivité qui n'est jamais remise en question, et son engagement, tant physique qu'émotionnel, est total.

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