Toujours soucieux de proposer à un public varié une musique à la croisée des genres, l’Orchestre Pasdeloup a donné à la Philharmonie de Paris, en collaboration avec le Trio de jazz Tortiller et l’Orchestre de Cannes, et sous la direction de son chef d’orchestre Wolfgang Doerner, un programme d’une cohérence, d’une rigueur et d’une générosité rares que l’auditoire, on ne peut plus enthousiaste, a tout aussi généreusement salué.
L’Orchestre de Cannes, seul et clairsemé sur la scène de la Grande Salle, s’est tout d’abord attelé efficacement aux très belles Danses populaires roumaines de Bartók en guise de mise en bouche. Joli avant-propos de ce concert célébrant avant tout la réunion des musiques populaires et des musiques savantes, ou du moins l’hybridation de sonorités qualifiées un peu vite de « folkloriques » par des compositeurs en recherche d’un langage alternatif.
A la fusion entre la modalité affirmée des airs et l’apparente tonalité de l’harmonisation de Bartók – qu’il n’admit d’ailleurs jamais complètement - ont succédé d’inédites orchestrations de l’opéra Porgy and Bess par le vibraphoniste Franck Tortiller. Si Gershwin souhaitait déjà, en 1930, y célébrer la créativité et la complexité des musiques noires – au risque que sa « négrophilie » quelque peu essentialiste fasse, par la suite, grincer des dents – le trio Tortiller a su y ajouter une touche de jazz plus contemporaine, ainsi que des accents symphoniques tirant vers le postromantisme sur l’impressionnant I loves you Porgy. Les solos endiablés de Tortiller, d’Yves Torchinsky à la contrebasse et de Patrice Héral à la batterie ont pris soin de ne pas voler la vedette aux deux orchestres en très grande forme. La vraie bonne idée consistant à ne pas forcer les différents pupitres s’échangeant le thème à singer un swing forcé, mais à combiner ces sonorités vibrantes, lyriques, à celle des instrumentistes jazz. Les nombreuses collaborations du trio aux productions de l’Orchestre Pasdeloup – étalées sur près de quinze ans, précisera Franck Tortiller, visiblement ému – ont fait l’objet d’un nouveau disque, Rhapsody in Paris, incluant ces formidables orchestrations, qui fût présenté en fin de concert.
La suite du programme, amorcée par le plus récent « Intihuatana » (commande de Radio France créée en 2003) du franco-argentin Esteban Benzecry, extrait de ses Colores de la Cruz del Sur, a engagé cette exploration des folklores sur un terrain plus « imaginaire », pour reprendre les mots mêmes du compositeur. Autour d’une mélodie péruvienne s’élabore donc un appareillage plus atonal, dont la recherche autour du timbre évoquait volontiers Varèse, et le rapport au rythme d’aussi vieux maîtres – Messiaen et Stravinsky en tête.
Très à propos, donc, puisque le programme se concluait sur l’ardu et passionnant Sacre du Printemps. Ardu, techniquement parlant, puisque son enchaînement continu de thèmes, rarement développés mais juxtaposés en blocs, sa rythmique fluctuante et souvent contre-intuitive, son recours à des instruments et à des timbres rares plutôt qu’à des pupitres fournis et harmonieux, impliquent une exécution des plus rigoureuses, qu’ont fourni sans trop de peine les deux orchestres, et une direction des plus claires – Wolfgang Doerner s’est également montré à la hauteur. Passionnant parce que, tout empreint d’un certain nationalisme russe refusant l’héritage symphonique allemand, Stravinsky faisait acte, avec ce ballet s’inspirant de mélodies slaves, d’une modernité sidérante. Un siècle auparavant, et alors que ses contemporains tels que Debussy et Ravel, et les auditeurs anglais ayant assisté au ballet peu après à Londres, faisaient montre d’un enthousiasme sans borne, le Sacre recevait à Paris un accueil public des plus déplorables – rebaptisé, pour l’occasion « Massacre du printemps ». Aujourd’hui grand classique, elle fut malgré tout la pièce la plus applaudie de tout le concert.