C’est en longeant le marché de Noël de La Villette qui jouxte la Philharmonie qu’on se rend compte de l’audace de la programmation : une Résurrection à cette période, c’est prendre de sacrées libertés avec le calendrier liturgique ! Si les pochettes qui ornent chaque pupitre du Tonhalle-Orchester Zürich sont d’un rouge pourpre renouant avec l’ambiance des fêtes, l’interprétation du soir de cette Symphonie n° 2 de Mahler ne sera pas un cadeau…
Pour nombre de symphonies du compositeur autrichien, l’enjeu est de réussir à unifier un discours juxtaposant de nombreux petits motifs aux caractères contraires par une science du discours accomplie. Les deux premières font exception du fait de l’unité de chacun de leurs mouvements. Et pourtant, Paavo Järvi et ses troupes réussissent au contraire à morceler minutieusement la partition.
Alors que l’engagement des violoncelles et contrebasses entame l'œuvre de manière poignante, le souffle est de courte durée. Cette « Totenfeier » (cérémonie funéraire) qu'est le premier mouvement devient un aimable enchaînement de séquences décousues, sans lame de fond, sans cette atmosphère sinistre et implacable qui devrait vous glacer le sang tout du long : le caractère de marche funèbre explicitement demandé par Mahler est absent. Les quelques propositions censées mettre du relief à cette relative léthargie se révèlent grossières : des enchaînements de coups d’archet tirés aux cordes amènent parfois un caractère brutal par trop tranchant par rapport à l’ensemble, tandis que les effets glissando des violons dans les passages piano, supposés apporter un peu de douceur, sont exécutés sans subtilité ni beaucoup d’application.

Ce manque d’application caractérise tout le concert quant à la qualité de son de l’orchestre. Les moments d’homogénéité sont rares, rendus d’autant plus difficiles à obtenir par de nombreuses errances de justesse. Les nuances sont exécutées par tous, certes, et le chef n’est d’ailleurs pas avare de contrastes, demandant régulièrement aux musiciens de jouer très piano en se recroquevillant presque derrière son pupitre, mais la caractérisation du son manque cruellement. Ainsi ces piano sonnent-ils le plus souvent ténus et sans consistance.
Peut-être a-t-il manqué d'une direction plus franche de la part de Järvi. La main droite indique clairement la mesure, avec souvent une souplesse prometteuse, synonyme théorique de mouvement et d’allant, mais la main gauche ne suggère pas grand-chose. Les quelques innovations du chef tombent ainsi souvent à plat, à l’image des levées systématiquement ralenties du deuxième mouvement, alourdissant son caractère car peu exploitées, quand certains passages semblent en pilote automatique dans le scherzo.
On est donc heureux d’arriver enfin à la quatrième partie de la symphonie, espérant que l’ajout du chant fera décoller le concert. Anna Lucia Richter propose un « Urlicht » appliqué, à la prononciation impeccable et au phrasé bien mené sur l’ensemble de la tessiture. Son timbre gracieux est agréable, on l’écoute avec attention plus qu’un orchestre discret et trop accompagnateur, mais la mezzo-soprano, parfaitement immobile, presque tendue, semble amoindrie par un léger stress. Ce dernier disparaitra pendant le finale, l’occasion de confirmer une puissance expressive certaine. Sa collègue soprano Mari Eriksmoen montre moins de variété au cours de ses interventions du dernier mouvement, ses attaques et son vibrato étant un peu systématiques malgré une puissance étoffée dans l’aigu.
Si l’orchestre prouve enfin par moments une certaine éloquence dans la dernière partie, en particulier lorsque le duo du cor anglais et de la flûte s’anime puis précipite tout l’orchestre dans un élan narratif captivant, il ne trouve pas la plénitude sonore requise malgré les possibilités offertes par l'acoustique de la grande salle Pierre Boulez. On se console avec les excellents chanteurs de la Zürcher Sing-Akademie. D’une homogénéité idéale, le chœur sculpte à travers ses nuances raffinées des atmosphères tangibles, pour proposer à la fin de l’œuvre un crescendo irrésistible, aboutissant à une exultation toute de félicité et de lumière. De quoi donner envie d'allumer les décorations de son sapin.

