Ce soir, le programme a du souffle. Il en faut, pour éteindre les 50 chandelles de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et les très nombreuses bougies de la plus ancienne société de France ! Car l’Académie des Jeux Floraux, qui célèbre la poésie, fête aussi ce soir ses 700 ans d’existence. Les deux œuvres du programme joué ce soir par l’ONCT, les Quatre derniers lieder de Richard Strauss et la Neuvième Symphonie d'Anton Bruckner, seront donc introduites par des poèmes lus par leurs auteurs. Insigne honneur pour les auditeurs.

Loading image...
Chen Reiss, Tarmo Peltokoski et l'ONCT
© Romain Alcaraz

Mais le vrai héros du jour, celui que tout le monde attend, entre en scène. Tarmo Peltokoski, le prodige finlandais de 24 ans, futur directeur musical de l’ONCT, se campe sur l’estrade, jambes écartées, pieds ancrés dans le sol. D’un geste calme et serein, il lance l’orchestre. La soprano Chen Reiss, qui cultive ses apparitions dans un répertoire Strauss-Mahler ces derniers mois, chante pour la première fois à Toulouse. Sa voix, au vibrato assez prononcé, n’est pas tout à fait sur le même plan que l’orchestre. C’est compter sans le chef, qui ajuste sans tarder la soliste et l’ensemble avec un grand souci du détail. Dans le deuxième lied (Septembre), les contrechants et les étages sonores sont rendus avec perfection. « Pelto », comme tout le monde l’appelle déjà, fait corps avec Reiss, il se place physiquement dans une proximité avec la chanteuse et trace un lien charnel avec tout l’orchestre.

L’introduction profondément mystérieuse du troisième lied (L’heure du sommeil) subjugue, la musique glisse, envoûtante ; les crescendos sont pondérés, soignés, jamais débordants. Le violon solo de Jaewon Kim s’accorde magnifiquement avec la soprano. Les premières mesures d'Au crépuscule sont d’une justesse à couper le souffle. La battue de Peltokoski est plus présente dans cet ultime lied que pour les trois autres, comme un peu plus fragile, mais le résultat est là. Les dernières mesures sont prises à un tempo qui défie l’entendement, le son s’étale, s’éternise, se dilue dans l’air ; la salle est figée dans le crépuscule qui se meurt…

Tarmo Peltokoski dirige l'ONCT dans la <i>Neuvième Symphonie</i> de Bruckner &copy; Romain Alcaraz
Tarmo Peltokoski dirige l'ONCT dans la Neuvième Symphonie de Bruckner
© Romain Alcaraz

La seconde partie est introduite comme la première par un Maître ès jeux de l’Académie, Capitaine Alexandre, dans un dit rythmé, mi-troubadour mi-slameur, emballant et captivant. Puis vient l’apothéose, celle d’un artiste conscient qu’il compose sa dernière œuvre. Bruckner a dédié sa Neuvième Symphonie « au bon Dieu, à condition que celui-ci l’accepte ». Tout simplement. Peltokoski l’entame d’un geste serein, ne semblant pas troublé par cet héritage. Il privilégie toujours le grand geste, pour porter les longues phrases du compositeur autrichien. Malgré les ruptures de rythme, malgré les silences, malgré les assauts des cuivres, on est pris dans un élan irrépressible.

Le Scherzo nous plonge en un instant dans le gouffre des Enfers. À chaque mesure, on a l’impression que Hadès va surgir de derrière un pupitre. Le caractère monstrueusement massif du thème principal nous assaille comme une muraille de sons, l’orchestre, d’un bloc, engloutit la Halle aux grains. Les fins de phrases ne faiblissent jamais, au contraire : elles constituent un élan, jusqu’au dernier accord qui résonne longtemps. C’est donc ici que finissent ceux qui ont refusé l’Espérance…

Le troisième et dernier mouvement de cette symphonie inachevée (Adagio, lent et solennel) sonnera comme une messe sans paroles, intime et grandiose à la fois, imposant une foi intranquille à des auditeurs médusés.

*****