Les deux magnifiques sextuors à cordes de Brahms n’étant que bien trop rarement à l’affiche des concerts, c’est donc plein d’enthousiasme que l’on se rend à Anvers où la belle Salle bleue du Singel accueille une équipe d’interprètes de premier plan : c’est le Quatuor Belcea, justement réputé pour ses interprétations toujours aventureuses et spontanées, qui forme l’ossature d’une équipe complétée par rien moins que l’altiste Tabea Zimmermann et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, cette même formation ayant déjà enregistré ces œuvres pour Alpha en 2022. 

Le Quatuor Belcea © Maurice Haas
Le Quatuor Belcea
© Maurice Haas

On sait à quel point Brahms a le sens de la texture instrumentale et le compositeur exploite avec énormément d’ingéniosité la richesse des alliages sonores qu’offre cette formation où les voix graves du quatuor sont doublées, ce qui permet des combinaisons sonores très variées entre trois groupes d’instruments d’égale importance.

La perfection technique d’une équipe de si haut niveau va de soi, mais l’interprétation du Premier Sextuor op. 18 se révèle assez déroutante. Si les musiciens optent pour une approche sobre loin de tout romantisme brumeux, l’impression dominante est d’être face à un ensemble d’excellents instrumentistes à la maîtrise incontestable – l’équilibre des voix est parfait – mais curieusement inhibés et qui, d’un bout à l’autre, semblent jouer avec le frein à main tiré. Même si la salle à l’acoustique généreuse n’est peut-être pas idéale pour ce type de formation, il y a chez les interprètes une espèce de prudente retenue, voire de timidité, qui surprend.

C’est ainsi qu’après un premier mouvement très intériorisé, l’Andante, ce justement célèbre thème et variations néo-baroque, est d’une inattendue sobriété et ne touche guère. Le refus de l’épanchement est une bonne chose, mais l’impression dominante est celle d’une réserve excessive. Heureusement, le joyeux scherzo est bien plus vivant alors que le finale s’achève sur une coda animée. Néanmoins, l’interprétation dans son ensemble est d’une étonnante neutralité émotionnelle, au point qu’on a par moments l’impression d’assister à une répétition où les musiciens se retiennent volontairement, comme s’ils voulaient garder leurs forces pour le concert.

Mais les choses s’arrangent nettement après l’entracte dans le Deuxième Sextuor op. 36. Ici, le Quatuor Belcea et ses invités, maîtrisant peut-être à présent davantage l’acoustique des lieux, osent une approche plus franche et extravertie, alors que leur jeu fait enfin preuve de la chaleur qui faisait trop souvent défaut jusqu’alors. Au delà de l’irréprochable maîtrise instrumentale et de la parfaite coordination de ces six excellents musiciens, on perçoit enfin une vraie joie de jouer, alors que la sonorité de l’ensemble est à présent bien plus riche et colorée (surtout pour ce qui est des altos et violoncelles) qu'en première partie.

L’Allegro non troppo introductif est à la fois fin et solaire, le scherzo se révèle bondissant et plein d’énergie avec un trio à la fois gracieux et ferme, le mélancolique Poco adagio est subtilement prenant avant que le finale ne conclue cette belle interprétation sur un passage fugué tourbillonnant. Cette interprétation généreuse et convaincante, où l’on perçoit clairement l’engagement et le plaisir de jouer des musiciens, fait encore plus regretter la surprenante et étonnamment pâle première partie.

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