Alors que les formations musicales parisiennes ont désormais toutes proposé leur concert de rentrée et que la saison 2023-24 est réellement lancée, quelques festivals prolongent l’atmosphère estivale. C’est le cas du Festival de l’Orangerie de Sceaux, dont la 54e édition se tient comme toujours dans le cadre enchanteur du parc dessiné par Le Nôtre. Témoignage de sa programmation ambitieuse, nous avons rendez-vous à l’Orangerie pour un concert de musique de chambre haut en couleur servi par le Quatuor Hanson et Adam Laloum.

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Adam Laloum / Le Quatuor Hanson
© Julien Benhamou / Rémi Rière

Le Troisième Quatuor à cordes de Robert Schumann commence par une introduction comme un soupir, d’où émane un premier thème aérien et doux. D’emblée le Quatuor Hanson séduit par un son d’ensemble homogène et cohérent, avec une admirable science des équilibres.

Tout au long de l'œuvre, les interprètes mettent en valeur les deux facettes du compositeur. Le Florestan feu follet trouve son incarnation dans le deuxième mouvement dansant, dont le thème haletant et syncopé nécessite un travail de mise en place qui est ici de l’ordre de l’orfèvrerie. L'Eusebius contemplatif se retrouve dans la troisième partie de l'œuvre, sublimement phrasée et construite. Il est délicieux de pouvoir suivre l’ensorcelante voix principale, de se perdre dans les nombreux contrechants qui proposent une progression polyphonique fascinante puis de retourner au chant sans se perdre dans les méandres de l’écriture complexe de Schumann. L'élan de l'ultime mouvement est moins communicatif, peut-être à cause d'un léger manque de rebond dynamique.

Changement d’esthétique avec le Premier Quatuor à cordes de Leoš Janáček. Sous-titrée « Sonate à Kreutzer », cette œuvre met en musique la nouvelle de Tolstoï, récit tragique du meurtre de sa femme par un mari jaloux de la complicité qui unit cette dernière avec son collègue chambriste. Dès les premières notes, le Quatuor semble nous dire « Il était une fois », et chaque instrumentiste ajoute avec une ponctuation piquante un détail pour décrire le cadre du drame.

Un pizzicato, et l’histoire commence. On se figure parfaitement les différents personnages, leurs humeurs, ainsi que l’ambiance générale des scènes. Des moments mélodiques représentent les amants complices, des ponctuations grinçantes de plus en plus aigres traduisent la progression de la jalousie du mari, des interventions éplorées figurent autant de monologues intérieurs. Si la proposition du Quatuor Hanson manque parfois de mystère (notamment au tout début de l'œuvre), les musiciens maîtrisent et incarnent cependant pleinement la partition.

Après un court entracte largement mérité pour les interprètes (le programme est très éprouvant physiquement et intellectuellement), le Quatuor Hanson est rejoint par Adam Laloum pour le célébrissime Quintette op. 44 de Schumann. Schumannien hors pair et chambriste émérite, le pianiste se fond immédiatement dans le Quatuor avec une sonorité à la fois claire et feutrée tout au long de l’œuvre. On profite ainsi réellement d’un quintette et non d'un quatuor accompagné d’un piano (ou l’inverse) comme on entend parfois.

L'ouverture permet de se replonger dans l’esthétique schumannienne après les bouleversements servis par Janáček. Arrive le tant attendu second mouvement, qui déçoit légèrement car à nouveau trop concret au départ. C’est un choix des instrumentistes, car on a entendu des pianissimos de référence tout au long de la première partie du concert. Le troisième mouvement, très énergique, est quant à lui totalement convaincant. L’élan des gammes et les nombreux jeux rythmiques qui le composent sont comme un feu d’artifice. Le dernier mouvement conclut brillamment cette interprétation. Il serait pourtant facile de produire une exécution confuse dans ses passages fugués. Ce n’est pas le cas ici : à l’image de l’ensemble du concert, tout est exposé clairement.

Les Hanson et Adam Laloum gratifient le public conquis d’un bis en reprenant la fin du troisième mouvement. Moment le plus réussi du quintette, voilà qui clôt en beauté un concert de référence à l’Orangerie de Sceaux. En plus de son cadre très plaisant à l’œil au sein du parc du domaine de Sceaux, le lieu est très plaisant à l’oreille : il dispose d’une acoustique qui se prête parfaitement à la musique de chambre lorsque la salle est comble.

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