C’est dans un Auditorium de Radio France bien garni en ce samedi soir que Renaud Capuçon fait son entrée d’un pas rapide, buste droit, légèrement penché en avant, et s’incline d’un salut un peu raide, nœud papillon vissé sous le menton, avant de reporter son attention à son pupitre. L’œuvre qu’il s’apprête à jouer n’est pas de celles qu’on joue de mémoire dans toutes les salles de concert du globe et c’est à saluer : artiste en résidence dans la Maison ronde pour la saison 2022/23, le violoniste a décidé de profiter de son statut pour mettre en avant des œuvres méconnues ou encore à connaître. C’est ainsi qu’il donnera à entendre au printemps les concertos des jeunes compositeurs français Benjamin Attahir (en création française) et Camille Pépin (en création mondiale) et, dans l’immédiat, le Concerto pour violon et orchestre de Karl Goldmark. Cette partition d’un contemporain de Johannes Brahms comptait Itzhak Perlman ou Nathan Milstein parmi ses défenseurs mais on comprendra bien vite pourquoi elle ne s’est pas imposée parmi les chefs-d’œuvre du répertoire : les mouvements extrêmes sont à ce point jonchés de difficultés techniques qu’ils ont parfois l’allure d’un parcours de saut d’obstacles, tandis que l’écriture manque singulièrement d’imagination, quelques rares audaces contrapuntiques venant donner le change au milieu d’une architecture relativement pauvre.

Renaud Capuçon
© Simon Fowler

Un brin tendu dans le premier mouvement, Renaud Capuçon s’en sort en se campant solidement sur ses appuis, ancrant l’archet dans la corde pour surpasser sans difficulté un Orchestre Philharmonique de Radio France aux aguets. On est proche du sans-faute technique dans cette partition ingrate, notamment pour le finale interprété sans concession sur le tempo, mais c’est surtout dans les passages chantants que le violoniste se distingue, déployant un lyrisme chaleureux admirable surtout dans le très beau mouvement lent – le violoniste le redonnera d’ailleurs avec l’orchestre en bis.

C’est toutefois le reste du programme qui restera davantage dans les mémoires. En ouverture du concert, Pablo Heras-Casado avait proposé une belle lecture du Chant des esprits sur les eaux de Franz Schubert. Fédérant de ses mains nues les voix masculines du Chœur de Radio France et un quintette à cordes graves d’une remarquable souplesse de texture, le chef espagnol semble favoriser la contemplation de l’instant à la projection des phrases. Si l’ensemble paraît alors parfois un peu inerte, l’interprétation ne manque pas de soin et la direction lente rappelle les lignes éternelles du Chant du destin que Brahms composera quelques années plus tard.

Voilà qui n’est pas sans cohérence avec le programme du soir, la Deuxième Symphonie du même Brahms venant refermer le concert. Comme dans le concerto et comme chez Schubert, Heras-Casado semble accorder la priorité au chant. Le maestro bienveillant indique la marche collective d’un geste précis mais jamais intrusif, ce qui permet aux solistes de déployer leurs lignes mélodiques librement et en confiance. Dans ces conditions, on se délecte du jeu de très haut niveau des vents du Philhar’ : si on avait déjà apprécié la clarinette de velours de Nicolas Baldeyrou dans Goldmark, ce sont cette fois-ci surtout la flûte de Mathilde Calderini et le hautbois d’Olivier Doise qui sont à l’honneur et c’est un régal, leur tandem très complice associant idéalement pureté d’intonation et phrasé rayonnant. On n’oubliera pas de saluer le formidable pupitre de cors, emmené par une partie de premier cor (Alexandre Collard) qu’on n’avait jamais entendue chargée d'autant de poésie. Côté cordes, le jeu est transparent et fluide, jamais inutilement épais, tant et si bien qu’on n’aura aucunement cette impression de saturation pourtant si fréquente dans l’Auditorium. Et l’exigeant finale coule de source, avec tout le panache requis et sans la moindre lourdeur : du grand art !

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