Dans la grange rénovée de Riddersalen, le concert de 19h15 vient de s’achever sur une standing ovation méritée, après ce qui pourrait être le dernier sommet de cette septième édition du Rosendal Chamber Music Festival. Il faut dire que l’équipe qui vient de donner le fameux Troisième Quatuor pour piano et cordes de Johannes Brahms a tout du carré d’as… 

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Guro Kleven Hagen, Bertrand Chamayou, Tabea Zimmermann et Sheku Kanneh-Mason
© Liv Øvland

Au piano, Bertrand Chamayou, décidément aérien lors de ces quatre jours où il a enchaîné des œuvres aux contraintes pourtant bien opposées, des cinquante nuances de piano de la Musica Ricercata de György Ligeti au clair-obscur de la Fantaisie en fa mineur de Franz Schubert, en passant par le rare Trio avec cor op.40 de Brahms ; à l’alto, Tabea Zimmermann, véritable tour de contrôle chambriste, capable de seconder le violon de James Ehnes comme d’assumer la basse quand le violoncelle de Sheku Kanneh-Mason se met à chanter ; au violoncelle, Sheku Kanneh-Mason justement, inspiré en toute circonstance, qu’il s’agisse d’échanger des pizzicati malicieux avec le violoncelliste du Dover Quartet dans le Premier Sextuor op.18 de Brahms ou de donner des frissons dans le thème du méconnu Quatuor pour piano et cordes op.75 de Robert Fuchs ; au violon enfin, Guro Kleven Hagen, violon solo de l’Orchestre de l’Opéra de Norvège et véritable révélation de ce Festival pour les non-autochtones tant sa sonorité brillante, corsée, élastique fait merveille quoi qu’elle joue.

Ce quatuor vient donc de donner une interprétation mémorable du Troisième Quatuor pour piano et cordes de Johannes Brahms, car à la fois claire et pleine de brio, fluide et puissante. Mais sitôt le concert achevé, la suite du programme intrigue : maître de cérémonie hors pair lors de ce festival dont il assure la direction artistique, Leif Ove Andsnes invite à patienter au bar en attendant le concert de 22h qui promet d’être original…

Ce sera le cas, en effet. À l’affiche : Zum Roten Igel (ZRI), un quintette hétéroclite (violon, violoncelle, clarinette, accordéon, cymbalum) qui a repris le nom et l’esprit d’une taverne viennoise du XIXe siècle dans laquelle Schubert ou Brahms avaient leurs habitudes. Le groupe s’efforce en général de donner à entendre les chefs-d’œuvre des compositeurs savants de cette époque par le prisme de la musique populaire ; ce sera le cas en particulier ce soir du Quintette pour clarinette et cordes de Brahms, dont chaque mouvement sera revisité par ces joyeux trublions.

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Zum Roten Igel
© Liv Øvland

Le concept est plus qu’intéressant : Schubert, Brahms et tant d’autres ont pioché dans le répertoire populaire ou se sont nourris de cet esprit pour concevoir leurs propres pièces ; mais il est parfois difficile d’identifier cette dimension dans leurs ouvrages et très facile de l’oublier à force de les entendre et réentendre. Quand le premier mouvement du Quintette revisité par ZRI évolue donc vers un doux passage ponctué par le cymbalum, on se surprend à écouter l’œuvre de Brahms avec une oreille neuve, curieuse de ce qu’elle pourrait receler comme passages secrets, du registre populaire à la partition savante.

La plus grande réussite surviendra lors du mouvement lent, quand les échappées de la clarinette se retrouveront ponctuées de bariolages endiablés du violon et du violoncelle, l’origine klezmer du geste instrumental sautant alors aux yeux et aux oreilles. Le reste du temps, le collectif n’évite cependant ni les longueurs (était-ce bien nécessaire de jouer la réexposition du premier mouvement ?) ni les redites, les nombreuses bifurcations vers des thèmes populaires énergiques (sans relation avec le Quintette) finissant pas lasser. Vers la fin, l’arrivée d’une Danse hongroise de Brahms apportera une variété bienvenue – il aurait sans doute fallu multiplier ce genre d’incursion ou de référence pour vraiment dynamiser un show brahmsien somme toute bien sage.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par le Rosendal Chamber Music Festival.

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