L'air est doux devant la petite église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise, immortalisée par Van Gogh lors de son ultime séjour à l'été 1890. On est à moins de 30 kilomètres de Paris, et ici c'est déjà la province. Le public est local, fidèle à un festival qui en est à sa 44e édition. Ce soir, c'est la première fois que Sonya Yoncheva se produit ici, et elle va faire preuve d'une générosité peu commune dans un programme où elle ne s'économisera pas : la soprano bulgare l'a composé tout italien, réservant à la seconde partie les grands airs d'opéras de Puccini, et combinant airs et mélodies de Puccini, Tosti et Verdi en première partie. Elle ne laissera à son fidèle accompagnateur, Malcolm Martineau, qu'une minuscule pause entre deux airs de Puccini pour jouer le fameux tango d'Albéniz. C'est presque dommage qu'on n'en ait pas entendu plus de l'art du pianiste écossais, qui plus d'une fois nous fera croire qu'il a un orchestre dans son piano. 

Malcolm Martineau et Sonya Yoncheva au Festival d'Auvers-sur-Oise © DR / Festival d'Auvers-sur-Oise
Malcolm Martineau et Sonya Yoncheva au Festival d'Auvers-sur-Oise
© DR / Festival d'Auvers-sur-Oise

Yoncheva ouvre son récital avec un premier bouquet de quatre mélodies de Puccini. Dédiée à Paolo Tosti, Sole e amore (1888), une courte romance de 38 mesures, présente des traits caractéristiques du lyrisme puccinien. Il faut quelques secondes aux interprètes comme au public pour apprivoiser l'acoustique de la scène dressée au cœur du transept, et à la soprano pour nous rappeler la somptuosité d'une voix dont elle maitrise les nuances les plus subtiles. La mélodie Terra e mare (1902) est ensuite une sorte de berceuse tendre et maternelle dans la voix melliflue de la chanteuse. Changement de registre avec Mentìa l'avviso, une scène dramatique composée par Puccini en 1883 pour l'examen final du Conservatoire de Milan. En habituée du Met et des grandes scènes d'Europe, Sonya Yoncheva peut enfin déployer les grands moyens, sans laisser paraître les suites d'un Covid qui l'a forcée à quitter prématurément New York et La Dame de pique. Le médium s'est cuivré au fil des ans, au point qu'on y surprend des couleurs « callasiennes », les aigus sont toujours lancés avec une ardeur imbattable, comme dans le bref Canto d'anime (1904) qui boucle la série.

Avec le plus célèbre mélodiste de la Botte, Paolo Tosti, Sonya Yoncheva se fait diseuse et confidente dans l'Ultimo bacio. Malcolm Martineau, sur un rythme de barcarolle, lui fait ensuite l'écrin rêvé pour Ideale. La première partie du concert se conclut par trois mélodies de Verdi : In solitaria stanza (1838) laisse présager les grands airs de la maturité, dans une tessiture où la richesse du timbre, la tenue de la ligne de chant peuvent pleinement s'épanouir ; la romance qui suit Ad una stella (1845) révèle quelques aigus tirés mais la chanteuse sortira de sa réserve dans L'esule (L'Exilé), conférant à cette page une dimension tragique qui explose sous les voûtes de l'église.

La seconde partie est évidemment la plus attendue par le public d'Auvers, un peu frustré de n'avoir pas encore entendu les tubes qu'il espère. il va retrouver l'actrice autant que la chanteuse d'opéra. Sonya Yoncheva commence par effeuiller langoureusement une rose, celle d'Anna dans Le Villi (« Si j'étais comme toi, petite fille, je pourrais rester auprès de mon amour »), parant son chant de couleurs pastel très touchantes.

Le contraste avec « Vissi d'arte » est saisissant : celle qui a si souvent incarné Tosca en donne une vision presque expressionniste, jusqu'au-boutiste, qui ravit l'auditoire. Quelques minutes laissées à son pianiste, et la soprano revient nous émouvoir aux larmes avec l'air de Mimì du troisième acte de La Bohème et surtout avec « Un bel dì vedremo » de Madama Butterfly – sans doute le rôle puccinien où Yoncheva a aujourd'hui peu de rivales. La voix qui n'a perdu ni de son ambitus ni de sa souplesse se moire de couleurs de miel et de pourpre. En bis, la habanera de Carmen nous fait souhaiter voir la chanteuse incarner la célèbre cigarière sur scène. C'est enfin avec l'air de Manon (« Adieu, notre petite table ») que Sonya Yoncheva prendra congé du Festival d'Auvers, sous des brassées de fleurs.

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