Le triomphe de cette Tosca berlinoise est avant tout celui de la Staatskapelle de Berlin : d’une précision impeccable, d’une homogénéité rare, les différents pupitres ont rivalisé de virtuosité, donnant à entendre une pâte orchestrale tantôt rutilante (le Te Deum du premier acte), tantôt diaphane et subtilement évocatrice, comme dans les touches impressionnistes des premières scènes de l’acte III, évoquant l’aube se levant progressivement sur la ville éternelle. Du très grand art, magnifié par l’excellente acoustique du Staatsoper – une salle humaine parfaitement adaptée à ce drame intimiste qu’est le chef-d’œuvre de Puccini – et la belle direction de Julien Salemkour : si l’on peut reprocher au chef allemand deux petites baisses de tension à la fin de l’acte II et lors du duo entre Tosca et Mario au troisième acte, sa direction est globalement flamboyante, lyrique à souhait, puissante mais toujours respectueuse des chanteurs dont elle ne couvre jamais les voix. Certains détails sont par ailleurs finement mis en relief, telle la douloureuse remémoration du duo d’amour confiée au violoncelle avant l’air de Mario, ou encore l’introduction de « E lucevan le stelle », d’une intense poésie ; quant à la scène de l’exécution, elle aura rarement évoqué à ce point une véritable marche funèbre, ponctuée par de sourds accords martelant le rythme tel un sinistre glas.
La mise en scène d’Alvis Hermanis aura de quoi hérisser les partisans des relectures, transpositions et autres visions iconoclastes des classiques : nous sommes bien à Rome, dans les lieux prévus par le livret, Scarpia est bien le salaud, Tosca la victime et Mario le héros exalté par l’amour et ses convictions politiques. Nous sommes très loin du Trouvère salzbourgeois du même metteur en scène, se déroulant dans un musée, ou de sa Damnation parisienne qui prenait place dans le contexte d'une mission spatiale habitée vers Mars ! Hermanis laisse parler le drame dont il respecte à peu près toutes les composantes (à l’exception de la célèbre pantomime de Tosca après le meurtre de Scarpia), et fait le pari d’un jeu d’acteurs acéré pour assurer à l’œuvre la tension tragique dont ses auteurs l’ont pourvue. Les décors, quant à eux, évoquent sobrement Sant’Andrea della Valle, le palais Farnèse puis le Château Saint-Ange, secondés par des projections de peintures ou de photographies. Au-dessus de la scène, dans un grand cartouche, apparaissent également régulièrement des illustrations façon bande dessinée, explicitant le drame vécu joué sur scène. Si le procédé surprend dans un premier temps, il a le mérite de rendre l’action extrêmement claire : voilà une production qui, si elle ne révolutionne pas notre vision de l’œuvre, séduira sans nul doute les néophytes par son extrême lisibilité !