Ces 1er et 2 mars, l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg conviait les mélomanes à visiter Les Fontaines de Rome d’Ottorino Respighi, Les Nuits dans les jardins d'Espagne de Manuel de Falla ainsi que la Bohême de la Symphonie n° 8 d'Antonin Dvořák. Occasion également pour le public d'acclamer Nelson Freire venu mettre son talent au service de l'œuvre espagnole. L'orchestre remarquable de finesse et de puissance était placé sous la direction énergique et subtile de Constantin Trinks.

Suggérant avec vivacité l'ambiance enveloppant les alentours des fontaines de Rome aux différentes heures de la journée, les instrumentistes donnent de la partition d'Ottorino Respighi une interprétation à la riche palette d'effets. Le bel alliage des timbres de l’orchestre permet d'illustrer les sensations variées suscitées par chaque scène : en introduction, l'excellent ensemble des bois – en particulier le hautbois, à la sonorité et au jeu inexplicablement doux et perçants à la fois – vient ainsi évoquer la nuit finissante et ses mystères tout en préparant l'éveil aux activités diurnes. Contraste saisissant, les deuxième et troisième mouvements conduisent au mitan du jour, lorsque cordes, vents et percussions rendent l'éclat solaire, la vie, la chaleur, les couleurs régnant autour des fontaines jaillissantes : les fortissimo de chaque pupitre, avec des cuivres particulièrement brillants, font ressortir de manière surprenante les lignes, les nuances, les rythmes complexes auxquels tous contribuent. Contraste encore dans le finale avec le retour au calme nocturne en un decrescendo parfaitement maîtrisé. Soutenue par des premiers violons inspirés, la violon solo se distingue par son timbre pur et son legato expressif, avant d'ultimes coups de cloche dont l'écho épuisé signe la fin de l'œuvre.

Abordant Les Nuits dans les jardins d'Espagne, « impressions symphoniques » de Manuel de Falla, Constantin Trinks évite de donner à son introduction un legato convenu qui donnerait une image trop fade des jardins de l’Alhambra. L'orchestre se montre résolu, vigoureux, presque sec sans que ne soient négligées les nuances ni la profondeur saisissante des effets produits, en particulier par les cordes graves. C'est exactement de cette façon que Nelson Freire fait sonner son piano. Le doigté détaché donne à chaque note, à chaque accord, une frappante limpidité. L’effet est renforcé par un sens du phrasé et du rythme très régulier, tel un mouvement irrésistible. L'absence de legato trop marqué ne nuit nullement à la fluidité de l'interprétation.

La partie de piano ne comporte pas de longues cadences solistes. En revanche, elle exige constamment du pianiste comme de l'orchestre une rigueur, un sens de l'enchaînement permettant d'obtenir le jaillissement des dialogues qui structurent l'œuvre. À cet égard, l'orchestre s’avère parfois trop puissant dans les tutti pour permettre au pianiste de se faire entendre. Quand il se détache au premier plan, Nelson Freire est en revanche magistral : il semble se jouer avec simplicité, spontanéité, des nombreux traits virtuoses et difficultés rythmiques de l'œuvre. Avec leurs ornementations et variations aux couleurs ibériques, les thèmes énoncés transportent l'auditoire dans un paysage de rêve. La Plainte d'Orphée de Gluck (transcrite pour piano) constitue, en bis, un beau cadeau de Nelson Freire au public pris sous le charme d'un jeu limpide, cristallin et délicat.

La Symphonie n° 8 de Dvořák vient clore le concert. Puissance, cohésion parfaite au sein et entre les pupitres mais aussi capacité à rendre le caractère particulier des passages légers, dansants, contrastés, marquent cette exécution à la hauteur des deux interprétations précédentes. Après l'introduction, la symphonie s'épanouit dès que les flûtes laissent apparaître le thème dont la légèreté, la joie communicative sont bientôt immergées dans le flot somptueux des tutti. Chaque pupitre sollicité tour à tour, du cor anglais charmeur aux indispensables timbales, mérite d'être salué, avec une mention spéciale pour les flûtes. De même dans le deuxième mouvement où la masse orchestrale cède souvent la place à de beaux solos dont celui de la violoniste soliste, au jeu lumineux et expressif déjà remarqué dans l'œuvre de Respighi.

Le thème central du troisième mouvement suscite et concilie deux sentiments contraires : une grâce qui ne va pas sans nostalgie. Alliage complexe dont les bois, en particulier, assurent une réalisation convaincante. Le finale se développe autour du prodigieux contraste entre le thème exécuté à pleine puissance, frôlant même un instant la saturation sonore, puis sa reprise complètement apaisée. Dominant parfaitement ces transitions subites et délicates, la baguette de Constantin Trinks dirige l’orchestre d’une main de maître, jusqu’au terme de ce luxueux voyage imaginaire.

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