Vlan ! Poum ! Vlan ! Poum ! Difficile de juger d’une œuvre telle que le Requiem de Verdi, si apte à imposer, si naturellement rythmée dans son déroulement. L’enjeu véritable, bien que latent, est celui de l’urgence partagée. Chœur, solistes, orchestre et chef : l’appel Verdien n’a d’effet que lorsque l’imploration est collective et devient par là même incoercible.

Rappelons-le, Il y a dans l’acoustique du Théâtre des Champs-Élysées une immédiateté qui peut être compromettante, voire se montrer périlleuse. Raison de plus de s’en méfier quand l’œuvre à jouer est d’aussi gros tonnage et convoque matière aussi dense, aussi démesurée. Pourtant, l’auditeur est accueilli par une sorte de sérénité conclusive, qui est presque une lassitude. Nous sommes au lendemain de quelque-chose ; non pas commencement mais prolongement. Point de mer en vue, et pourtant, Jérémie Rhorer nous en fait comme ressentir le ressac et la respiration immense. Ce à quoi le chœur va répondre, émergeant par des éveils successifs : l’œuvre retrouve ses chemins et avance, magnifiquement. 

S’il faut parfois libérer le son, il faut également savoir conjurer cette fatalité du trop, qui sur les nuées ravageuses du Dies Irae ruine toute chance d’extase. Hier, Jérémie Rhorer a laissé l'Orchestre National de France donner libre cours à sa ferveur ; la canonnade a bien quelque-chose d’aveuglant, elle peut paradoxalement s’en trouver elle-même aveuglée. Les cuivres, dont le rôle ici est de ficeler le tout, de rattacher les tissus (les voix, les cordes) à l’os (timbale et grosse caisse), ont donné l’impression de courir après les percussionnistes. Seul le piccolo, dont les saillies héroïques se sont élevées au-dessus de l’orchestre, n’a pas dévié un moment de sa partie.

Quelques mesures plus loin, le solo de basson du Quid sum Miser flageole un peu, mais fait preuve d’un beau sens de la ligne, accompagnant parfaitement l’intensification du discours, côté chant. De beaux vertiges sur le Rex Tremendae : moments où le chœur et les solistes, larguant l’orchestre au passage, se retrouvent happés dans ce qui ressemble à quelques secondes d’apesanteur. Saluons la préparation soigneuse du Chœur de Radio France par Alberto Malazzi, malgré une impression de très forte compacité naissant de la friction des voix, qui nous parviennent dans une relative étroitesse (elles ne sont que peu relayées par les flancs de la salle). Heureusement, Jérémie Rhorer veille sur ses chanteurs ; il ajuste en permanence sa battue à ce qu’il entend, préparant des creux orchestraux où la voix sait se nicher. 

Le vrai bémol de la soirée ? Une même friction des personnalités, mais chez les solistes : résultat d’un cast déséquilibré, sans doute un peu dépareillé, et d’enjeux vocaux en conséquence. Car ce qu’on entend avant tout, c’est cette tension involontaire, parfois porteuse d’émotion, mais le plus souvent parasite.

À notre gauche était Vannina Santoni, soprano frêle, néanmoins d’une touchante pureté. Voici une voix contenue car très contrôlée, dont la sculpture permanente de la ligne, les sons parfaitement filés, compensent dignement la légèreté. La soprano semble d’ailleurs avoir habilement repensé son rôle pour l’adapter à son timbre, à son coffre, lui adjoignant de ce fait d’insoupçonnées vertus de prudence et d’effacement. Quel dommage que plusieurs erreurs (Rex Tremendae) et signes de faiblesses ne viennent amoindrir ses très beaux débuts (le Kyrie). Les duos avec la mezzo-soprano (Recordare) témoignent d’ailleurs d’une grande qualité d’écoute et d’accompagnement mutuel – à défaut de parité. Vannina Santoni s’allège, s’efface, ajuste en permanence, laissant à Alisa Kolosova le soin de montrer le chemin. Suivante, surgissant à la dérobée d’une tenue de sa partenaire, à laquelle elle apporte un incontestable lustre. Car d’un tout autre calibre sont les voix d’Alisa Kolosova, de Jean-François Borras et d’Ildebrando d’Arcangelo. La mezzo-soprano jouit d’une voix richement stratifiée, aux accents palpables, dardés plutôt que retenus. À ses côtés, le flamboyant ténor Jean-François Borras paraît plus empressé, plus bavard. La moindre de ses tenues, parfaitement timbrée, est parcourue d’un tremblement véloce, qui peut troubler aux premiers abords (notamment sur Ingemisco tamquam reus). Ildebrando D'Arcangelo campe une basse également très timbrée quoique plus sobre : sans doute la voix la plus égale du quatuor. Par la permanence et la constance de son souffle – davantage que par sa tessiture –, il incarne la figure autoritaire du quatuor.

En somme, une lecture inégale, néanmoins portée par quelques miracles ponctuels, fulgurances qui resteront dans nos mémoires.

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