Programmation comme toujours audacieuse cette semaine à l'Auditorium de Lyon : autour du célèbre Concerto de Grieg, sous les doigts du prometteur Christian Ihle Hadland, étaient articulées la Cinquième Symphonie de Sibélius et la première Rhapsodie de Hugo Alfvén. Hélas, si le pianiste a su proposer une interprétation aux partis pris convaincants, bien que parfois discutables, il n'en fut pas autant du reste des musiciens qui, abandonnant pour un soir le savoir-faire qu'ils ont coutûme d'incarner, manquèrent cruellement de rigueur dans la définition sonore et d'inventivité dans la palette des timbres.
On connaît mal l'œuvre d'Alfvén en France. Ecrite à l'aube du XXe siècle, sa Rhapsodie « Nuit de la Saint-Jean » est son œuvre la plus célèbre – sans doute sa forme courte, la variété de ses matériaux et ses consonnances irrésistiblement populaires lui ont-elle assuré la reconnaissance du public. Passé le rafraîchissant solo de clarinette initial, on peine à trouver de la fluidité dans les fréquents changements de tempi, et l'on a d'autant plus de mal à s'extirper d'un univers sonore pour s'engouffrer dans un autre. La baguette de Leonard Slatkin se veut ce soir dynamique, virevoltante : est-ce l'écoute individuelle des musiciens, peut-être désorientés par une œuvre rarement donnée, qui fait défaut ? Quoi qu'il en soit, l'ensemble n'est pas aussi alerte qu'on le voudrait : le cor anglais, qui nous avait offert un splendide solo dans la Symphonie du Nouveau Monde l'année dernière, ne nous envoûte pas vraiment, tandis que le cor manque de chair, d'assurance, n'incarnant jamais jusqu'au bout une mélopée flottante.
Derrière l'aspect inévitablement charmeur et passionné que l'on reconnaît au Concerto de Grieg, on perçoit la véritable difficulté que celui-ci présente au pianiste : subissant la triple-influence de Chopin, de Liszt et de la fougue du compositeur encore jeune, il s'agit pour l'interprète de l'incarner, en affichant clairement ses partis pris. En cela, la prestation de Christian Ihle Hadland est tout à fait convaincante. On peut se réjouir de voir autant de pianistes de la jeune génération jouer autant avec leur tête qu'avec leurs mains. Ce soir, la lecture sera didactique, presque pédagogique. On ressent le souci de bien prononcer chaque note, sans se laisser emporter par le bouillonnement qui se cache entre elles. L'artiste s'est fait ce soir un architecte du meilleur goût, au risque de lisser toutes les aspérités qui donnent tout de même à l'œuvre sa résolution flamboyante. C'est le cas, notamment, du deuxième thème du premier mouvement, certes bondissant, mais que l'on pourrait imaginer bien plus acide. De la cadence, superbement menée, Christian Ihle Hadland a ôté toute l'urgence dramatique pour en asseoir la majestueuse opulence. Quel dommage que l'orchestre soit aussi peu investi que le soliste a pu l'être ! Etait-ce une consigne d'interprétation donnée au pupitre des violoncelles que de vibrer un minimum de notes, dans le thème chantant du premier mouvement ? Le manque de communication est tel que le grand accord final qui clôt le premier mouvement n'est pas posé ensemble. Ce genre d'incident serait passé pour une simple étourderie s'il ne s'était pas reproduit quatre fois dans l'intégralité du concerto. Dans le deuxième mouvement, le pianiste échoue à créer une atmosphère intimiste. La mélodie est conduite avec le plus grand soin, mais ainsi mise à nue, la partition perd tout mystère. La référence chopinienne est trop évidente, et les fréquents décalages avec l'orchestre ne permettent pas d'offrir à ce mouvement la religieuse ferveur qui lui est due. Sans changer sa pensée musicale, Christian Ihle Hadland est bien plus convaincant dans le final. La parenthèse lente, en particulier, est remarquable, révélant de la part du pianiste une belle maîtrise du temps musical.
La Cinquième Symphonie de Sibélius souffre elle aussi d'un manque de caractérisation des timbres. Dans le premier mouvement, la tension qui devrait s'accumuler inexorablement ne cesse de faiblir. Les cordes n'arrivent pas à installer ce climat de malaise qu'instillent leurs interventions. Le basson, devant naviguer sur une nappe sonore qui ne parvient jamais à rester rythmiquement stable, peine à chanter sa mélodie comme il le voudrait. D'autant plus que Leonard Slatkin, ressentant l'inconfort de ses musiciens, les mène à la baguettes dans une direction quasi-métronomique. Le final fonctionne bien mieux : les phrases des vents gagnent en lyrisme (le solo de flûte est très réussi), les interventions des cordes gagnent en structure. Enfin !