« Juste pour que vous soyez au courant, ils m'ont dit 45 minutes et j'ai mon prochain rendez-vous à 12h15. Est-ce que c'est bon ? » De l'autre côté de la visio, Gautier Capuçon est fidèle à lui-même en ce matin de décembre : pile à l'heure, direct, sympathique et attendant qu'on entre tout de suite dans le vif du sujet. Comme toujours avec lui, la discussion informelle est gardée pour plus tard, dans le temps qui restera une fois que le travail aura été fait.

Gautier Capuçon © Nikos Aliagas
Gautier Capuçon
© Nikos Aliagas

Ce qui est tout à fait normal. En réalité, c'est un petit miracle que ce violoncelliste – régulièrement désigné comme l'un des plus actifs au monde dans les statistiques Bachtrack de la musique classique – puisse simplement consacrer un peu de temps à une journaliste. Son emploi du temps à l'heure où nous parlons est typique : il est en plein milieu des répétitions pour l'imminent concert de réouverture de Notre-Dame de Paris, qui réunira une quantité de célébrités, et il vient de jouer le concerto de Dvořák à Monte-Carlo sous la direction de Charles Dutoit, après une tournée européenne des trios avec piano de Schubert avec Nikolaj Szeps-Znaider et Rudolf Buchbinder.

Mais le concert de Lugano qui nous intéresse pour cette interview est lié à un travail si important pour Capuçon que c'est un peu comme s'il avait un chapeau de magicien caché quelque part d'où il tirerait des heures supplémentaires pour y consacrer du temps : ce travail, ce sont les jeunes artistes, et plus précisément sa Fondation Gautier Capuçon.

Créée en 2022, la Fondation Gautier Capuçon (organisme à but non lucratif) s'adresse aux instrumentistes à cordes et pianistes de toutes nationalités âgés de 18 à 25 ans, en début de carrière professionnelle, et organise des auditions chaque année. Elle offre jusqu'à deux ans de bourses – 10.000 euros par an – ainsi que des occasions de se produire en concert pour faire décoller leur carrière. Pour un ou plusieurs lauréats chaque année, choisis par Capuçon avec les membres de son conseil artistique, le pianiste Frank Braley et le chef d'orchestre Alain Altinoglu, il y a aussi la possibilité d'enregistrer un premier album dans la collection de la Fondation sous le label Warner Classics.

Aussi jeune soit-elle, la Fondation a déjà un impact immense, avec plus de 400.000 euros de bourses attribués au cours des trois premières années, et plus de 100 concerts donnés rien qu'en 2024. « Il reste encore beaucoup à faire, mais je suis fier de ce que nous avons accompli jusqu'à présent avec nos quatre petites mains, sourit Capuçon. Nous ne sommes encore que deux à nous occuper de tout cela, Danuta Pieter, la directrice exécutive de la Fondation, et moi ».

Foundation laureates Martina Consonni and Sarah Jégou-Sageman perform Chaminade.

Le concert donné au LAC Lugano Arte e Cultura en mars est la dernière date d'une tournée d'une semaine, au cours de laquelle Capuçon interprétera le Quatuor avec piano n° 1 de Brahms, le Quatuor avec piano en mi bémol majeur et les Fantasiestücke de Robert Schumann avec trois lauréats de l'année inaugurale de la Fondation, en 2022. La pianiste italienne Martina Consonni, la violoniste française Sarah Jégou-Sageman et l'altiste française Anna Sypniewski se produisent désormais régulièrement ensemble. « Elles sont toutes les trois très proactives sur le plan artistique, avec beaucoup de projets et de propositions, souligne-t-il avec admiration. Sarah et Martina se connaissaient déjà, car elles étudiaient toutes les deux à l'Académie Kronberg ; Anna les a rencontrées à la Fondation ensuite. Je suis tellement heureux de voir ces liens se nouer ! C'est vraiment cela que je suis en train de construire : une famille d'artistes ».

« Le niveau technique et artistique est bien sûr la priorité lors des sélections, mais il faut aussi que ce que nous faisons soit apprécié, humainement parlant. Je ne veux pas que ce soit comme un distributeur de billets ». Et de conclure : « C'est la première fois que je jouerai avec elles trois. Ce sera formidable d'avoir une semaine pour répéter et jouer un répertoire que je sais qu'elles aiment vraiment jouer. De plus, nous voyagerons ensemble et nous partagerons des choses autour du concert – nous aurons le temps de parler de musique, mais aussi de leurs besoins, de leur évolution et de leurs prochains projets ».

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Gautier Capuçon
© Nikos Aliagas

Dans une certaine mesure, le fait de se jeter à l'eau et de s'impliquer chaleureusement aux côtés des gens correspond à la manière dont cet homme de 43 ans fonctionne en général. Mais cela reflète aussi ce qu'il a lui-même reçu lorsqu'il avait 19 ans et qu'il étudiait à Vienne avec Heinrich Schiff, qui pouvait conclure une journée de cours intense en partageant un repas avec Capuçon et son camarade de classe, le violoncelliste-chef d'orchestre Daniel Blendulf. De même, les bourses reflètent le soutien financier qu'il a lui-même reçu de fondations, « sans lesquelles je n'aurais pas pu aller étudier à Vienne pendant trois ans – et si je n'y étais pas allé, qui sait... ? » Enfin, les opportunités de concerts qu'il propose sont une façon de cultiver la confiance déterminante qu'il a lui-même reçue d'organisateurs de concerts et de musiciens plus âgés. Ce qui nous ramène à Lugano ; car c'est à Lugano, au début de sa vingtaine, qu'il s'est produit pour la première fois avec une musicienne plus âgée qui allait lui apporter l'un des soutiens les plus significatifs qu'il ait jamais reçus au début de sa carrière : Martha Argerich.

« Elle nous a invités, mon frère et moi, à jouer le Premier Trio avec piano de Mendelssohn avec elle lors de son festival, explique-t-il. Je me souviens avoir pris le train pour aller répéter chez elle, à Bruxelles, et je n'oublierai jamais, jamais cette répétition. C'était la première fois que nous jouions avec elle, deux jeunes artistes avec cette légende... On ne savait pas trop comment on devait se comporter. Mais elle nous a tout de suite parlé d'égal à égal, ce qui était très surprenant d'une certaine manière, et très humble. Elle est toujours à la recherche de la musique. Un lien fort s'est créé à partir de ce jour-là, musicalement mais aussi humainement. Elle a toujours été là pour moi ».

« J'ai une quantité de souvenirs à Lugano, explique Capuçon, notamment les Fantasiestücke et le Quatuor avec piano en mi bémol majeur de Schumann, car j'ai joué et enregistré ces deux œuvres avec elle dans cette ville. Je voulais que ces souvenirs soient présents dans ce concert, car même si son festival n'existe plus, il est très présent dans mon cœur de musicien, et elle reste elle-même très présente dans ma vie. Je me sens très privilégié ». 

L'autre relation musicale évoquée dans cette anecdote est la plus ancienne pour Capuçon : celle qu'il entretient avec son frère Renaud. Après avoir fréquemment joué ensemble au cours des quinze premières années de leur vie professionnelle, exploitant un filon musical très productif, ils n'ont pas ou peu collaboré au cours de la dernière décennie. Mais l'arrivée de Renaud pour la tournée des trios avec piano de Schubert, après qu'Hilary Hahn a été contrainte de se retirer en novembre en raison d'une blessure, a annoncé la couleur : 2025 sera l'année où les frères Capuçon ont fait le choix de renouer le fil de leur relation sur scène. Ils ont imaginé ensemble un programme « carte blanche » de musique de chambre qui sera bientôt donné au festival des Sommets Musicaux de Gstaad. En juillet, ils interpréteront le Double Concerto de Brahms aux Rencontres Musicales d'Évian, et ils reformeront leur trio avec Martha Argerich au Festival de Verbier.

Quand je lui demande ce qui a changé, Capuçon choisit ses mots avec soin. « Je pense qu'il arrive parfois des choses qui signifient que c'est le bon moment, sans que ce soit forcé. Avant, c'était tellement beau ensemble et tellement facile que peut-être... Je n'aime pas trop le mot erreur... mais peut-être que nous avons fait trop de choses ensemble et que nous sommes arrivés à un point où nous avions tous les deux besoin de respirer et de nous développer chacun de notre côté. Il nous faut maintenant trouver un équilibre, pour conserver cette liberté que nous avons tous les deux ».

Gautier et Renaud Capuçon lors du concert de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris

En novembre, a-t-il eu l'impression que leur dynamique sur scène avait changé ? « Non, c'est la même chose, dans le sens où c'est comme si nous n'avions jamais cessé de jouer ensemble. Et ce sera toujours le cas, j'en suis sûr. Mais nous sommes nous-mêmes différents, plus âgés, et tous les deux plus posés ; et c'est très agréable de ressentir à nouveau cette façon paisible de rejouer ensemble. J'attends le prochain chapitre avec impatience ».

Un autre projet important récemment a été l'enregistrement des concertos pour violoncelle d'Elgar et de Walton avec le London Symphony Orchestra et Sir Antonio Pappano – sa première collaboration avec Pappano, bien qu'ils se connaissent depuis vingt ans. D'après la description que fait Capuçon des sessions d'enregistrement, l'expérience a été aussi riche sur le plan artistique qu'elle est formidable aujourd'hui pour l'auditeur. Parmi les projets à venir qu'il évoque avec plaisir, il y a la tournée du concerto de Dvořák avec Riccardo Chailly et la Filarmonica della Scala, et son retour en avril au Musikverein de Vienne pour interpréter le Double Concerto de Brahms avec Augustin Hadelich et les Wiener Philharmoniker sous la direction de Christian Thielemann. « Les Wiener Philharmoniker, et Vienne en soi, occupent une place à part pour moi, dit-il avec chaleur, et curieusement, le Musikverein est la salle de concert où j'ai le plus joué – à Paris, mes concerts ont eu lieu dans différentes salles ».

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Gautier Capuçon
© Frank Grimm

Parmi les autres noms qui apparaissent dans son calendrier 2025 figurent des violonistes avec lesquels il joue régulièrement, comme Lisa Batiashvili et Leonidas Kavakos, qu'il décrit comme des musiciens non seulement qu'il admire, mais aussi qu'il adore en tant qu'amis. C'est d'ailleurs pour préserver ces amitiés musicales, ainsi que ses deux filles, qu'il a récemment essayé de réduire le nombre de ses concerts. « Il y a toujours une bonne raison de dire oui – un grand projet ou une tournée, un ami, un enregistrement – c'est pourquoi je trouve cela très difficile... » Il rit. « Mais quand je regarde mon emploi du temps et que je n'ai pas beaucoup de jours libres... Je ne me plains pas, parce que je vois à quel point c'est difficile, et je me sens très privilégié. Mais cela me fait un peu peur ! »

Une fois notre temps écoulé, il me semble bienvenu de conclure sur ses trois jeunes collègues, dont le concert de Lugano en particulier le ramène là où tout a commencé pour lui. « Je suis très fier d'elles, souligne-t-il, et pour moi, le plus beau cadeau serait que le public les aime, qu'elles soient réinvitées, qu'elles prennent du plaisir sur scène et qu'elles soient heureuses. C'est ce qui est le plus important à la fois pour la Fondation et pour moi en tant que musicien ».


Gautier Capuçon et les lauréates de la Fondation Gautier Capuçon interpréteront Brahms et Robert Schumann à LAC le 14 mars.

Cet article a été sponsorisé par Fondazione LuganoMusica et traduit de l'anglais par Tristan Labouret.