« Quand j'étais petit, me raconte l'écrivain et entrepreneur Johan Idema, mon oncle m'emmenait voir des concerts de musique classique. Il me chuchotait tout le temps à l'oreille des choses comme “regarde la trompette”. Il me donnait des indications ou des conseils sur quoi écouter, et cela a eu un effet considérable. Ce chuchotement m'a permis de mieux suivre la musique grâce à ses instructions en temps réel. »

Commentaire d'une symphonie en direct : <i>Wolfgang</i> en action &copy; Vincent van Dordrecht
Commentaire d'une symphonie en direct : Wolfgang en action
© Vincent van Dordrecht

Le souvenir de son oncle n'a jamais quitté Idema qui, pendant des années, a été à moitié dans la musique, à moitié en dehors. Après avoir étudié le design industriel à l'université de Delft en même temps que le piano au conservatoire de Rotterdam, il s'est orienté vers l'administration des arts du spectacle à New York University. De retour aux Pays-Bas, Idema a travaillé pour la société de conseil en arts LAgroup, basée à Amsterdam, avant de se lancer seul en tant qu'auteur et producteur créatif auprès d'organisations artistiques, entreprenant une série de projets divers, dans les musées, les arts visuels et la musique.

Il y a dix ans, il a transformé le souvenir des commentaires chuchotés de son oncle en Wolfgang, une application pour smartphone qui donne aux spectateurs un flux d'informations sous forme de phrases courtes sur la musique qu'ils entendent, en temps réel. Un exemple, tiré du début de la Quatrième Symphonie de Mahler : « Le tintement des grelots ouvre la Quatrième symphonie de Mahler, la plus ensoleillée et la plus accessible de toutes. Les cordes introduisent une mélodie classique et joyeuse, que Mozart ou Haydn aurait pu écrire. »

« Parce qu'il est décédé il y a longtemps, explique Idema, j'ai en quelque sorte essayé de faire revivre mon oncle sous la forme d'une application. Mais il y a aussi une raison plus sérieuse pour laquelle j'ai lancé cette application : lorsque beaucoup d'orchestres et d'organisateurs parlent de la qualité d'un concert, ils ont tendance à ne penser qu'à la qualité de l'interprétation. L'orchestre a-t-il bien joué ? Le violoniste a-t-il bien joué ? Mais je pense que si l'on veut estimer la qualité d'un concert, il faut davantage prendre en considération l'impact que la musique a sur les auditeurs. »

« Selon moi, le succès ou non d'un concert dépend vraiment de la façon dont les auditeurs comprennent, saisissent et vivent la musique – s'ils sont vraiment touchés par elle ou s'ils sont stimulés intellectuellement. Avec Wolfgang, j'essaie de mettre l'accent sur la qualité de l'expérience musicale et sur la compréhension de l'auditeur. Je pense que beaucoup de spectateurs ne sont même pas conscients de ce qu'ils manquent. »

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Johan Idema
© Angela Baas

Il a fallu surmonter la réticence des salles de concert classiques à l'utilisation des smartphones, ce qui explique que le texte de Wolfgang soit en gris sur fond noir. « Nous avons fait beaucoup d'efforts pour concevoir cette application de telle sorte que si vous ne l'utilisez pas et que quelqu'un à côté de vous le fait, vous ne serez pas dérangé. En fait, nous avons découvert dans nos recherches que ce qui dérange le plus les gens, c'est une personne assise à côté de vous et qui consulte la brochure du programme sur papier, lorsque vous l'entendez tourner les pages et faire craquer le papier ». Idema déconseille l'idée que l'application ne soit accessible qu'à certaines catégories de public, estimant qu'elle devrait être disponible le plus largement possible.

Dans un concert, il y a mille aspects musicaux différents sur lesquels on pourrait écrire – et les auditeurs viennent avec des personnalités et des niveaux de connaissance très variés. Il est impossible d'être parfait pour tout le monde, alors comment les rédacteurs qui créent du contenu pour Wolfgang décident-ils de ce qu'il faut mentionner ?

Idema n'a pas de dogme, préférant s'appuyer sur des études sur les publics, qui se poursuivent depuis la création de l'application. « Nous invitons les spectateurs à tester l'application et nous leur posons des questions telles que “Est-ce que cela améliore votre expérience du concert ? Est-ce que cela améliore votre compréhension de la musique ? Est-ce que cela a fonctionné pour vous ? Qu'avez-vous pensé du texte ? A-t-il été bien écrit pour vous ?” »

Ces recherches ont permis d'obtenir une réponse claire quant à la fréquence de rafraîchissement du texte, qui est d'environ toutes les 90 secondes : « Si nous raccourcissons le texte, les gens se sentent bousculés et ont l'impression de ne pas avoir le temps d'apprécier la musique et de regarder autour d'eux. Si nous l'allongeons, les gens disent qu'ils veulent en savoir plus ». Il est plus difficile de définir exactement les aspects à mentionner, mais Idema précise que l'important est de rester dans l'instant : « La plupart du temps, le texte apparaît à des endroits très logiques – lorsqu'une nouvelle mélodie commence, ou lorsque quelque chose se produit soudainement dans la musique. Les choix faits par nos rédacteurs tendent à tenir compte de ce que les auditeurs entendent à ce moment précis, de sa signification ou de ce que le compositeur avait en tête. »

Selon Idema, lorsqu'un orchestre commence à mettre Wolfgang à disposition de son public, environ 10% des spectateurs décident de l'utiliser, un chiffre qui passe à 20-25% au fur et à mesure que la familiarité avec ce dispositif augmente. Le type de répertoire a également un effet, avec un taux d'utilisation plus élevé pour les grandes symphonies, les œuvres de musique à programme comme la Symphonie fantastique ou les Tableaux d'une exposition, ou les œuvres plus longues avec beaucoup de texte chanté comme la Passion selon saint Matthieu.

Le taux d'utilisation dépend également de la manière dont la disponibilité de l'application est communiquée au public, à la fois dans les publicités et le marketing fait à l'avance et dans l'affichage sur le lieu du concert. Plus surprenant encore, l'application semble s'adresser aussi bien aux novices qu'aux experts en musique classique. Idema préfère faire la distinction entre les « auditeurs émotionnels », qui ne veulent rien entre eux et la musique, et les « auditeurs rationnels », qui veulent des réponses à de nombreuses questions sur ce qu'ils entendent dans la musique et pourquoi.

Le contenu est créé par une petite équipe de rédacteurs qui ont progressivement acquis de l'expérience. Il existe aujourd'hui une bibliothèque d'environ 500 œuvres, le modèle économique étant que lorsqu'un orchestre souhaite ajouter une nouvelle œuvre, l'auteur reçoit une rémunération mais le texte devient gratuit pour tous les autres, indéfiniment. Pour les orchestres et les producteurs, le coût d'utilisation de l'application est de l'ordre de 150 euros par concert (Wolfgang est un organisme à but non lucratif), et les orchestres participants doivent en outre embaucher un opérateur pour faire fonctionner l'application et faire défiler les éléments de texte. Mais pour les spectateurs, l'utilisation de l'application est gratuite.

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© Wolfgang

Selon Idema, le coût n'est généralement pas un obstacle – le plus difficile est de convaincre les organisateurs d'autoriser l'utilisation du smartphone. Les attitudes peuvent être difficiles à faire évoluer : Idema se souvient d'un moment où un fort bip dans le public a été immédiatement imputé à Wolfgang, alors qu'en réalité, il provenait de l'appareil auditif d'un membre de l'auditoire. Les réactions des chefs d'orchestre ont varié, allant de la seule (et unique) fois où un chef a bloqué l'utilisation de l'application – bien qu'un accord ait déjà été établi avec la direction de l'orchestre – à des occasions où les chefs ont activement contribué au contenu affiché. En fin de compte, cela dépend principalement de l'appétit d'un orchestre pour l'innovation numérique, et Idema affirme que Wolfgang représente un moyen peu coûteux et peu risqué de commencer ce voyage numérique.

Idema lui-même n'est pas un développeur, mais il est très satisfait de Fabrique, l'agence néerlandaise qui a conçu et développé l'application. Le plus grand défi, selon lui, a été de freiner l'instinct naturel des développeurs à ajouter des fonctionnalités : il a été catégorique sur le fait que Wolfgang ne devait faire qu'une seule chose, et la faire très bien. Cela dit, pour célébrer le 10e anniversaire de l'application, une nouvelle mise à jour est en préparation. Sa principale caractéristique, baptisée « Wolfgang Anytime », sera la possibilité d'utiliser l'application aussi bien avant le concert (pour ceux qui aiment être bien préparés) qu'après (pour ceux qui veulent « réécouter »).

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© Wolfgang

Idema espère que l'application apportera une contribution modeste mais tangible à l'avenir de la musique classique. « Nous constatons que le public de la musique classique est en déclin. Pendant de nombreuses années, beaucoup de gens ont considéré que l'appréciation de la musique classique faisait partie d'une bonne éducation et était nécessaire au statut social. Avec la disparition de ces aspects, il faut vraiment se demander pourquoi les gens choisissent d'écouter un concert de musique classique. Pour moi, la réponse est que la musique nous touche ou nous inspire. Wolfgang et d'autres efforts à visée éducative sont très importants parce que le public d'aujourd'hui connaît de moins en moins la musique classique, et nous devons nous assurer que lorsque les gens assistent à des concerts classiques, il leur est possible de vraiment comprendre ce qu'ils écoutent. »


Wolfgang est disponible sur iOS App Store et Google Play Store. Plus d'informations sur wolfgangapp.nl

Cet article a été sponsorisé par ArtPublic Foundation et traduit de l'anglais par Tristan Labouret.