Faisons tourner une mappemonde pour trouver les Émirats arabes unis où vient d'être organisée pendant tout le mois de février la troisième édition du Classic Piano International Competition : ils sont à égale distance de Londres et de Pékin, un peu plus proche de Moscou, au nord, idéalement placés pour recevoir des candidats venus du monde entier. Indépendants depuis 1971, ils sont une fédération de sept émirats qui ont choisi un mode de développement très intéressant, à la fin du protectorat britannique, investissant massivement dans l’éducation. Quant à la plus grande ville des EAU, Dubaï, elle est devenue un lieu de villégiature touristique recherché, en bordure de la mer d'Oman. L'architecture de ses bâtiments est fascinante par la diversité esthétique des constructions sorties de ce qui était un désert il y a encore quarante ans. La ville a conquis le ciel en édifiant le plus haut gratte-ciel du monde qui culmine à 835 mètres, et elle a même gagné sur la mer en construisant une presqu'île en forme de palmier.

Andrey Gugnin au Classic Piano International Competition 2024 © Dmytro Yeliseiev
Andrey Gugnin au Classic Piano International Competition 2024
© Dmytro Yeliseiev

C'est donc là, dans le Zabeel Theatre intégré dans un magnifique hôtel édifié sur une des palmes de la presqu'île, que la Classic Piano International Competition a décidé d’organiser ses épreuves. La première édition s'était tenue à Malte, d'où d'ailleurs cette manifestation continue d'être pilotée. Mais ce concours n'est pas parachuté en un lieu sans aucun lien avec la musique : un festival à la programmation soignée y est organisé par le discret directeur artistique de la compétition, parallèlement aux épreuves. Du 1er au 15 février, l'Orchestre symphonique de Berlin et l'Oxford Philharmonic y ont joué, ainsi qu'entre autres les violonistes James Ehnes et Maxim Vengerov, les pianistes Fazıl Say, Cyprien Katsaris, Ashley Wass...

Wass était d'ailleurs membre du jury qui mélangeait pianistes, agents et organisateurs de concerts. Parmi les jurés, rien moins que les pianistes Peter Donohoe, Pavel Gililov, François-Frédéric Guy, Stanislav Ioudenitch, Hüseyin Sermet et donc Ashley Wass. Certains d'entre eux enseignent en privé ou dans des cadres institutionnels, mais tous ont une vraie carrière de musicien de concert. Parmi ce jury, on relève aussi les noms de Kirsten Dawes et d'Eleanor Hope qui font jouer beaucoup de musiciens, la première à Berlin, à la Pierre Boulez Saal, la seconde depuis Vienne où elle dirige un bureau de concert. On insiste sur cet aspect des choses, car si tous les concours se ressemblent un peu, l'équilibre qui préside à la composition de leur jury n'est pas égal partout. Or, une bonne compétition, c'est d'abord un bon jury. Et un bon jury est une assemblée qui récompense des talents prêts à affronter une carrière et pas couronner la fin de la formation d'un étudiant : la différence entre ces deux « états » n'est pas toujours facile à détecter.

Soixante-dix candidats avaient réussi les épreuves de sélection organisée pendant deux ans, dans plusieurs grandes villes en Europe, en Amérique et en Asie, comme vont commencer de l'être celles du concours de violon qui se tiendra en avril 2025, toujours à Dubaï. Mais quarante-trois se sont finalement présentés pour le premier tour. Le plus jeune avait 14 ans, le plus âgé était à la veille de son 37e anniversaire... et aurait donc pu être son père. Ils sont venus d'un peu partout, de Chine, de Corée du Sud, du Japon, de Géorgie, de Nouvelle-Zélande, de Pologne, de République tchèque, d'Espagne, d'Ukraine, de Turquie, du Belarus, d'Italie, d'ïsraël, des États-Unis, d'Arménie, de Russie, certains Russes accolant le nom de leur pays de résidence à celui de leur pays d'origine.

Les deux dernières étapes de la compétition étaient filmées et diffusées en direct sur internet par medici.tv qui est très impliqué dans la diffusion mondiale des concours de musique qui se passent désormais aussi sous le contrôle d'un public lointain mais pas moins passionné. Chose un peu étrange, le théâtre était évidemment ouvert au public, mais il n'a pas répondu présent : la plupart des épreuves se sont donc tenues devant le jury et la quinzaine de journalistes venus, eux aussi, du monde entier. On peut y voir un défaut ; le public n'est pas là pour porter les candidats comme lors d'un concert. On peut aussi y voir une qualité : le public n'est pas là pour choisir ses candidats et hystériser les épreuves en manifestant bruyamment ses choix, comme dans certains concours internationaux anciens et très enracinés dans leur ville.

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Les neuf lauréats du Concours
© Dmytro Yeliseiev

Des quarante-trois du premier tour, neuf restaient pour s'affronter lors de la finale qui aura duré trois longues après-midi. On ne peut pas parler de tous les candidats, mais trois d'entre eux nous ont particulièrement marqué lors de cette finale dont tous à l'exception d'un seul nous étaient inconnus. Et l'on est heureux de pouvoir donner raison à Hüseyin Sermet qui nous a déclaré après la proclamation du palmarès : « Je pense que nous n'avons commis aucun forfait ! » Nous aurions juste inversé deux places. Mais incontestablement, le premier prix a été décerné à Andrey Gugnin (Russie-Pays-Bas, 36 ans), un pianiste magnifique et musicien accompli qui a déjà du reste une jolie carrière derrière lui et des prix dans des concours prestigieux dont celui de Sydney en 2016.

Les Britanniques le connaissent bien car il a déjà publié des disques remarqués chez Hyperion et les Français également puisqu'il a joué à La Grange de Meslay et ailleurs. Pourquoi s'est-il alors présenté au Classic Piano International Competition ? Comme d'autres Russes, il a publiquement pris fait et cause contre l'invasion de l'Ukraine, a tout quitté, laissant derrière lui l'essentiel de ses engagements en Russie, se retrouvant aux Pays-Bas où il vit désormais sans beaucoup d'argent. Or, non seulement cette compétition lui apporte une somme énorme, mais aussi une tournée très bien payée : au total ses gains seront de 150 000 euros. Et puis, s'il a pu concourir, c'est que le règlement l'autorisait et à ce stade de sa carrière, il a pris un grand risque.

En tout état de cause, il a donné un Concerto n° 3 de Rachmaninov dont l'autorité pianistique se doublait d'un contrôle du son, d'une culture musicale qui nous ont valu un premier mouvement tenu d'une façon exemplaire et un finale alla breve qui nous a épargné l'emphase trop souvent entendue à la fin, mais peut-être et surtout un deuxième mouvement chanté avec une profondeur de sonorité et une dignité musicale rarement entendues, typiques des étudiants moscovites de Vera Gornostaïeva.

L'Orchestre symphonique d'État arménien et son chef Sergey Smbatyan l'ont bien accompagné, ce qui ne fut pas le cas de tous les finalistes, tant les musiciens de la phalange étaient épuisés par un marathon qui leur a fait accompagner plus de quarante épreuves en quelques jours, car la demi-finale était également avec orchestre ! Le programme était imposé : une pièce concertante d'Alexey Shor, compositeur en résidence du concours, et le Concerto n° 20 en ré mineur KV 466 de Mozart.

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Arina Antonosyan (Quatrième Prix)
© Dmytro Yeliseiev

Un autre candidat dont il faut parler, c'est Zhiquan Wang (Chine, 14 ans), qui a joué un Concerto n° 3 de Sergueï Prokofiev avec sérieux, aisance, sans esbroufe, avec l'orchestre et pas tout seul comme un tambour-major, sans une chute de concentration, comme s'il avait déjà joué maintes et maintes fois cette pièce si difficile. Il lui manque sans doute une maîtrise plus grande encore du son et la liberté de prendre la parole avec plus d'éloquence, mais vraiment il méritait son Cinquième Prix sans l'ombre d'un doute.

Dans le même concerto, Arina Antonosyan (Arménie, 21 ans) a été royale. Elle a joué avec un son rayonnant, jamais dur ou clinquant, toujours justement timbré, avec l'éloquence et l'autorité naturelle d'un grand maître, donnant des ailes à l'orchestre et au chef qui en manquèrent singulièrement avec d'autres candidats moins inspirants. Elle a eu le Quatrième Prix quand elle aurait mérité d'avoir le Deuxième.


Palmarès du Classic Piano International Competition 2024 :

Premier Prix : Andrey Gugnin
Deuxième Prix : Sunah Kim
Troisième Prix : Anastasiia Kliuchereva
Quatrième Prix : Arina Antonosyan
Cinquième Prix : Zhiquan Wang
Sixième Prix : Marek Kozák
Septième Prix : Yanfan Yang
Huitième Prix : Artem Kuznetsov
Neuvième Prix : Hyounglok Choi

Lire l'ensemble des résultats, comprenant les prix spéciaux.

Cet article a été sponsorisé par la Classical Music Development Initiative.