Autant le dire d’emblée, il serait vain de chercher le moindre détail qui fâche dans cette reprise de la production de Ciboulette, qui a déjà reçu tant de louanges il y a deux ans : il Fau y aller !
Composée par Reynaldo Hahn (1874-1947) sur un livret de Robert de Flers et Francis de Croisset, Ciboulette fut créée le 7 avril 1923 au Théâtre des Variétés. Elle nous conte les amours contrariées de deux jeunes gens que tout oppose : la pimpante et rêveuse maraîchère Ciboulette et le riche et oisif aristocrate Antonin de Mourmelon se rencontrent de façon improbable aux Halles de Paris, puis ils doivent se quitter et ne se retrouveront pour s’aimer qu’au terme d’une intrigue farfelue, une fois remplies trois conditions tout aussi abracadabrantes.
Dans le Paris de l’entre-deux-guerres, en réaction à la concurrence croissante de la comédie musicale américaine, Reynaldo Hahn remonte aux sources et compose « l’opérette des opérettes », une œuvre brillante et d’une grande vivacité, truffée de clins d’œil et de références à ses illustres prédécesseurs, parmi lesquels Offenbach et Messager.
En cohérence avec ce propos, le génial Michel Fau nous entraîne dans une délicieuse balade rétrospective. Avec intelligence, humour, poésie et ce qu’il faut de nostalgie et de folie, il établit une connivence instantanée entre le spectateur et la scène. Point de reconstitution historique ni de transposition contemporaine : c’est avec notre regard d’aujourd’hui que nous sommes invités à nous promener en rêvant dans les pavillons Baltard de 1867, le Paris d’Eugène Atget et les faubourgs d’Aubervilliers, que les superbes décors de Bernard Fau et Citronelle Dufay entrelacent très astucieusement. Les costumes de David Belugou témoignent eux aussi de cette recréation fantasmée d’un passé qui transcende les époques. En l’occurrence, les perruques et les robes à panier délirantes de Mme Pingret et de la Comtesse de Castiglione sont des modèles du genre !
Pour incarner cette intention et donner vie à ce dispositif, Laurence Equilbey et Michel Fau ont constitué une distribution remarquable. Comme le dit lui-même le metteur en scène, « l’opérette est difficile à chanter et pourtant il faut d’abord des interprètes rompus à l’art de la comédie ». Et tel est bien le cas de l’ensemble du plateau, à commencer par Mélody Louledjian. Formidable, tant vocalement que scéniquement, elle donne au personnage de Ciboulette une épaisseur, une sensualité et une capacité à émouvoir qui atteint son comble dans les couplets « C’est sa banlieue ». Grâce à sa magnifique présence et à la direction d’acteurs millimétrée de Michel Fau, elle devient « une sorte de Lulu d’opérette » au charme de qui il est absolument impossible de résister.