La représentation s’est ouverte sur le défilé de l’école de danse et du ballet, cortège pompeux et bien hiérarchisé de danseurs qui progressent en rang les uns après les autres, en costumes académiques et tutus blancs. L’exercice soumet les étoiles de l’Opéra, qui saluent seuls, au jeu cruel de l’applaudimètre et n’est pas toujours le bon reflet de la qualité de leur performance. Il est néanmoins toujours sympathique de voir cette splendide compagnie réunie et de pouvoir lui rendre hommage. Le défilé est surtout une bonne occasion d’écouter la généreuse Marche des Troyens de Berlioz en attendant patiemment la suite du programme dans son fauteuil.
Le spectacle rassemble ensuite deux œuvres de chorégraphes d’origine russe établis aux Etats-Unis, Jerome Robbins né en 1918 et Alexeï Ratmansky né quarante ans plus tard, tout comme ses prédécesseurs russophones Balanchine et Robbins. La logique de ce spectacle est pourtant moins de réunir deux ballets d’auteurs aux influences proches et à l’écriture corporelle restée très classique, que de présenter deux œuvres d’une sensibilité toute particulière à la musique.
Dances at a gathering, a été composé en 1969 par Robbins, qui renouait alors avec la technique classique et le New York City Ballet après plusieurs années d’absence. Revenu à la sobriété de la musique et du classique, Robbins s’est laissé imprégner par la musique de Chopin pour proposer plusieurs petites variations très musicales et enjouées qui incarnent l’histoire abstraite d’une compagnie de danseurs qui partagent en scène leurs souvenirs et célèbrent l’amitié. Inspiré de la récurrence du thème du souvenir dans le théâtre Nô, Robbins établit ici une véritable mise en scène de la réminiscence, avec une alternance de pauses méditatives et de passages dansés qui ravivent l’empreinte laissée par le souvenir. Le thème est cependant traité avec une trop grande béatitude par instants et la succession académique de variations traîne en longueur.
L’interprétation de cette œuvre techniquement complexe démontre néanmoins une réelle maîtrise des dix solistes présents en scène. On remarque tout particulièrement la technique éclatante de Ludmila Pagliero, qui triomphe dans une suite de variations aussi exigeante, et la légèreté rieuse de Nolwenn Daniel, interprète décidément très attachante. Josua Hoffalt apporte un soupçon de dérision très appréciable au sein de cette assemblée un peu trop doucereuse et tranche avec l’interprétation plus académique de Mathieu Ganio, irréprochable sur le plan technique mais décidément trop policée.