Alors qu’Ingmar Bergman avait toujours refusé la transposition de ses films vers d’autres formes d’art scénique, son fils Ingmar Bergman Jr. approcha en 2018 La Monnaie pour lui proposer le projet d’un opéra basé sur ce classique qu’est Fanny et Alexandre (1982), certainement l’un des plus beaux et riches films de son auteur. Six ans plus tard, c’est un très original cadeau de fin d’année que fait la maison bruxelloise à son public, même si ce Fanny and Alexander n’a vraiment rien d’un traditionnel conte de Noël et qu’il est même franchement à déconseiller aux enfants comme aux spectateurs impressionnables.
Si elle ouvrira d’insoupçonnées profondeurs psychologiques, l’intrigue est simple. La scène se lève sur une table de fête dressée pour Noël où sont réunis dans une Suède du début du XXe siècle les Ekdahl, une famille aisée qui se consacre au théâtre. En dépit de quelques tensions familiales mais qui ne les touchent pas directement, Fanny et Alexandre vivent une enfance heureuse, jusqu’à la mort de leur père Oscar. Quelque temps plus tard, leur mère Emilie se remarie avec Edvard Vergerus, un sévère évêque luthérien, et emménage avec les enfants dans l’austère demeure où l’évêque, assisté de sa gouvernante et âme damnée Justina, les traite avec une rigueur à la limite du sadisme.
Et c’est ainsi que l’on passe de la chaude et colorée atmosphère familiale du début à un oppressant huis clos qui n’est pas sans rappeler le Britten du Tour d'écrou (fantômes de la première épouse et des deux filles de l’évêque compris). Heureusement, Isak – ami de la famille et ancien amant de la grand-mère des enfants – parvient à les faire sortir ce cette grise et triste maison et les emmène chez lui. C’est dans une demeure imprégnée de la magie du théâtre que les enfants rencontrent les deux neveux d’Isak, Aron et surtout l’énigmatique et fascinant Ismaël, annonciateur d’une rédemption prochaine. Après avoir drogué son mari, Emilie fuit la maison de l’évêque qui périra dans un incendie accidentel. La famille au complet se réunira quelques mois plus tard pour célébrer le baptême de l’enfant de Vergerus et d’Emilie, à nouveau autour de la table qui accueillait les convives à Noël.
Pour cette création en langue anglaise, le librettiste canadien Royce Vavrek a écrit un livret efficace dans une langue très vivante – y compris les cascades de gros mots proférés par Alexandre lors de la mort de son père et sa première rencontre avec son beau-père. Sans la moindre surcharge et très rigoureuse, la mise en scène d’Ivo van Hove suit au plus près le livret, d’autant plus qu’il peut compter sur la remarquable contribution de Jan Versweyveld pour les décors et éclairages et de Christopher Ash qui signe quelques vidéos saisissantes.