Voir danser Saburo Teshigawara dans une de ses pièces est toujours impressionnant et émouvant. Le chorégraphe japonais a un style bien à lui, absolument inimitable, poétique, éthéré, intense, détaché des conventions, dissocié de l’écoulement du temps.
Le spectacle que Teshigawara donne à Chaillot jusqu'au 3 mars s’intitule Flexible Silence et ne constitue pas un simple ballet mais la mise en place d’un dialogue avec les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, présents sur scène et ainsi très nettement intégrés à l’œuvre. Teshigawara dit d’ailleurs lui-même que sa pièce « est née à partir de la musique », qui est celle de Messiaen et surtout de Toru Takemitsu. La volonté de façonner un espace-temps où musique et danse contemporaines s’imbriquent se ressent sans équivoque du début à la fin de l’œuvre ; cependant, s’il s’agit bien de l’intention qui préside à la création, le tissage de relations entre les deux univers n’est pas si évident et le public reste de toute façon à l’écart.
On ne se rend pas à un spectacle de Teshigawara à la légère : en faisant le choix d’y assister, on s’apprête à entrer dans un univers particulier, quasi méditatif, loin des codes du divertissement habituel. Sur scène, avant l’apparition des danseurs, ce sont les instrumentistes qui s’installent ; d’abord six, au centre, pour les claviers, puis d’autres viendront les relayer, en groupes, de part et d’autre de l’espace scénique (toujours dans le fond). Le début de la chorégraphie présente des danseurs ou danseuses seul(e)s tour à tour dans un rond de lumière. Leurs bras s’agitent, tournoient, laissant voyager leurs mains qui semblent batifoler tels des oiseaux. La vitesse des tourbillons n’altère pas l’impression de grand calme qui ressort de la dynamique du mouvement, un mouvement fluide, naturel, évident. La lenteur prédomine dans le spectacle ; les gestes des danseurs sont le plus souvent déliés, épurés, amenés sans hâte et déployés avec une constante profondeur d’intention. La concentration est perpétuelle, l’intensité émanant des corps aussi. Les jeux de lumière privilégiant la pénombre et les ombres et les changements d’atmosphères musicales permettent à plusieurs histoires de surgir – ce ne sont pas des histoires narratives, mais des formes d’expressivité riches en sens. Le spectateur est libre d’y trouver ce qu’il souhaite (une émotion, un symbole, une histoire, la marque d’une culture ou d’une esthétique, une référence…).