L’effervescence est à son comble en ce soir de première au Théâtre des Champs-Élysées : artistes, mécènes, journalistes sont tous présents pour applaudir une des plus grandes compagnies nord-américaines dans un programme très attendu, composé de deux œuvres de William Forsythe et d'une pièce de Jiří Kylián.
La soirée débute avec Pas/Parts 2018 dont la première version avait été créée en 1999 avant que Forsythe ne l'adapte pour le Boston Ballet en 2018. On est d’emblée ébloui devant la cohésion des danseurs qui interprètent à la perfection la chorégraphie et qui rayonnent de joie sur scène au rythme de la musique électronique de Thom Willems. Les lignes des corps structurent l’espace dénué de décors, les équilibres sur pointe sont spectaculaires, et les déhanchés rythment le tout. On voit que la compagnie prend un immense plaisir à danser et leurs sourires sont contagieux. On sent également la confiance que partagent les danseurs qui osent prendre complètement les risques proposés par la chorégraphie : se laisser tomber en arrière, tourner à toute vitesse, confier sa jambe pour qu’elle disparaisse derrière une épaule. Les danseurs, dont la technique est remarquable, ont également le souci d’interpréter chaque geste : le moindre mouvement d’épaule prend un sens espiègle ou enjoué, les regards sont brillants. Bref, la compagnie est véritablement éclatante !
Après un premier entracte, huit danseurs s’emparent de Wings of wax créé par Jiří Kylián en 1997. L’atmosphère change radicalement et la scénographie propose un tableau poétique avec un arbre renversé – racines vers le ciel, branches au-dessus du sol – et un projecteur qui diffuse de la lumière en tournant progressivement tout autour des danseurs. Ceux-ci ont ôté leurs justaucorps colorés pour se vêtir de noir et les femmes ont abandonné les pointes pour trouver un contact singulier avec le sol, tantôt roulant sur le plateau, tantôt en apesanteur, en équilibre sur leur partenaire ou bondissant dans les airs. La fluidité des mouvements et l’accord de chaque danseur avec sa partenaire forment de vrais dialogues entre le corps féminin et le corps masculin qui se lient, s’accrochent ou se font face. Les couples de danseurs exécutent de nombreux portés lents qui semblent être happés par le ciel, défiant la pesanteur. Le chorégraphe s’est inspiré du tableau de Brueghel, La Chute d’Icare, pour composer cette pièce. Et certains mouvements évoquent d’ailleurs l’eau, très présente dans ce tableau. On dirait parfois qu’une danseuse sort la tête de l’eau, ou qu’une autre frétille soudain comme un poisson. Si l’eau n’est pas présente physiquement sur le plateau, sa matière semble perceptible physiquement par les mouvements et l’état des corps. L’harmonie entre les corps, la musique et la lumière crée beaucoup d’émotion. Et cette pièce programmée entre les deux œuvres de Forsythe permet de montrer toute la palette à la fois technique et artistique dont est capable le Boston Ballet puisque l’œuvre de Kylián est beaucoup plus intérieure que celles de Forsythe, qui proposent une énergie différente.