Actuellement à l’affiche de l’Opéra de Strasbourg avant d’être joué le mois prochain à Mulhouse, l'opéra Pénélope réunit de belles qualités vocales et scéniques. Créée à Monte Carlo puis interprétée au Théâtre des Champs-Elysées la même année en 1913, l’œuvre aujourd'hui oubliée de Fauré a pourtant permis à de grandes interprètes d’y briller, telles Lucienne Bréval (créatrice du rôle), Germaine Lubin, et plus tard Régine Crespin ou encore Jessye Norman. Pénélope porte bien son nom : malgré les nombreux personnages, l’œuvre repose en grande partie sur l’interprète du rôle-titre. Choix judicieux alors que celui d’Anna Caterina Antonacci, reconnue par tous ou presque comme l’une des plus grandes tragédiennes de notre époque. Il ne fallait pas moins que cela pour tenir un tel rôle durant trois actes sans aucune interruption ! L’exercice à la fois technique et physique est déjà à lui seul remarquable.
Olivier Py quitte ici les formes cubiques auxquelles il nous avait habitués pour un décor en plateau tournant très ingénieux, permettant de multiplier les espaces par le jeu des étages, de profondeurs (ce n’est pas un mais deux plateaux qui sont utilisés) et de palissades. Les combinaisons multiples de l’ensemble des éléments suggèrent parfaitement les différents lieux tout en restant légèrement indéfini, brumeux, juste ce qu’il faut pour ne pas perdre le spectateur sans qu’il ne se focalise pour autant sur ce lieu que Pénélope a en horreur depuis que son mari n’est plus là. Ainsi, le château semble avoir une âme propre, se mouvant et se métamorphosant au gré de l’œuvre et de l’histoire. La présence d’un petit théâtre aux airs antiques narrant les mésaventures d’Ulysse à l’acte II au moment où Pénélope interroge Ulysse sur son passé est finement pensée et habile.
On retrouve un univers scénique rappelant légèrement son Alceste au Palais Garnier : très sombre, noir avec quelques touches de blanc. Difficile cependant d’affirmer que cela serve à illustrer une dualité antinomique, les héros étant tous en noir à l’exception du jeune Télémaque (qui peut aussi bien être le fantôme ou la projection du jeune Ulysse), vêtu d’un haut blanc et d’un pantalon noir. On s’interroge cependant sur la réelle nécessité de toute cette eau sur scène : est-ce un rappel de cette mer omniprésente dans le mythe d’Ulysse, à la fois source d’espoir pour Pénélope, qui ne cesse de l’observer dans l'attente de son époux, et terrible prison du héros, dont le retour est empêché par le dieu Poséidon ? Les clapotis incessants qui en résultent peuvent vite devenir dérangeants.
Le pauvre Marc Laho doit d’ailleurs marcher pieds nus dans l’eau durant deux actes… Rien de très étonnant à ce qu’il ait « subit un petit refroidissement », comme nous en informe l’Opéra avant la représentation. Malgré cela, le timbre du ténor est clair, la projection puissante et le jeu juste. Peut-être un peu plus de fureur envers les prétendants aurait été la bienvenue, mais c’est là se montrer très exigeant.