Entré au répertoire en 2005, Orphée et Eurydice, opéra dansé de Pina Bausch sur une musique de Gluck, est repris cette saison par le Ballet de l’Opéra de Paris. Si à sa création par le Tanztheater Wuppertal en 1975 l’œuvre avait connu un accueil mitigé, l’Opéra Garnier affichait complet hier soir et le ballet a été largement salué par le public, cinq ans après la disparition de sa chorégraphe.
Orphée et Eurydice mêle en scène danseurs et chanteurs dans une scénographie vibrante et épurée, dont l’élément central est le voyage spirituel d’Orphée à travers l’épreuve du deuil. Œuvre caractéristique des recherches de Pina sur la relation humaine, Orphée et Eurydice propose à la fois une mise en relation de la danse et du chant – où la danse incarne le corps et le chant l’âme des personnages principaux – et une interpellation directe du public.
Le ballet se décline en quatre tableaux : «le deuil», lamentation d’Orphée à la mort d’Eurydice, «la violence» qui représente son voyage à travers les Enfers, suivi par «la paix» à son arrivée dans le jardin des Bienheureux, et enfin «la mort» qui met en scène les pas malheureux d’Orphée hors des Enfers et la mort d’Eurydice.
A l’ouverture du rideau, Eurydice apparaît en fond de scène, assise en hauteur et drapée d’un long linceul blanc. Orphée, entouré d’ombres, pousse une plainte qui nous transperce et répète avec désespoir le nom de l’absente. Seul vivant en scène, Orphée est à demi-nu, renvoyant à la fois à l’incarnation du héros apollonien et à la meurtrissure de l’homme endeuillé, avec une lumière crue qui tombe sans concession et découpe cruellement sa chair à vif. L’on peut également voir dans la scène du deuil une symbolique chrétienne, avec un Orphée-Christ nu, les bras en croix, martyr et entouré des épines de l’arbre mort en arrière-plan. Le premier tableau s’achève sur l’arrivée d’Amour qui réveille Orphée dans sa douleur et l’invite à passer de l’autre côté de la vitre en arrière-plan, dans le royaume des morts. Orphée traverse alors un monde de violence, habité par les furies et un glaçant cerbère à trois têtes, incarné par trois danseurs sculpturaux, vêtus de tabliers de bouchers. En arrière-scène, l’ombre d’une femme tend une main tremblante vers une pomme qu’elle ne peut attraper, préfigurant le péché à venir. Le troisième moment du ballet semble une parenthèse poétique, avec l’arrivée d’Orphée de l’autre côté de la vitre, dans le jardin des Bienheureux, et de splendides interactions de couples. Enfin, le retour d’Orphée des Enfers, suivi d’Eurydice éperdue et implorante, est un tableau qui puise dans l’énergie du sentiment mis à nu, sans aucun autre élément de mise en scène, et s'achève par la mort des deux Eurydice et de la chanteuse symbolisant l’âme d’Orphée.