Il est des soirées – rares au demeurant – où le critique pressent, devine que sa tâche sera aisée, qu’il n’aura pas à se soucier du maillon faible du spectacle auquel il assiste. C’est le cas en ce mardi soir, dans un Théâtre des Champs-Élysées presque comble, avec une version de concert d’Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, proposée par l’Opéra de Lyon.
Inspiré du drame éponyme d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, le livret d’Arturo Colautti décrit la rivalité qui oppose la duchesse de Bouillon et la tragédienne Adrienne Lecouvreur, l'une et l'autre amoureuses de Maurice de Saxe, maréchal de France. En 1730, lorsque la santé de la comédienne décline soudainement, le bruit court de son empoisonnement par le truchement d'un bouquet de violettes à l'instigation de sa rivale.
Le dernier souvenir qu’on a personnellement de cet opéra en scène, c’est le triomphe de Mirella Freni, dans l’éclat de ses derniers feux, en décembre 1993 à l’Opéra Bastille. La critique du Monde n'avait alors pas été tendre avec l’ouvrage de Cilea, traité de « navet vériste », une musique « sans aucune originalité » qui « condense la grandeur et la faiblesse du grand opéra italien ». On cite à dessein ce papier trentenaire, parce que ce qu’on a entendu ce soir gomme les facilités d’une partition de 1902 qui emprunte beaucoup au Puccini de La Bohème. Même si Daniele Rustioni ne peut rien contre la platitude d’inspiration des quelques pages symphoniques qui parsèment les quatre actes de l’ouvrage, c’est d’abord au directeur musical de l’Opéra de Lyon qu’on doit la parfaite réussite de cette Adriana Lecouvreur. Le chef a l’art de toutes les situations, qu’il caractérise avec un soin, une précision qui n’excluent jamais ni l’élan ni la virtuosité. L’orchestre – et dans une moindre mesure le chœur – de l’Opéra de Lyon confirment leur excellence.
L’avantage de l’absence de mise en scène, c’est qu’on entend tout des qualités – et des défauts s’il y en a – des interprètes, des chanteurs en premier lieu. Aucun subterfuge n'est possible pour masquer une méforme passagère, un trou de mémoire, une gestique réduite à sa plus simple expression. Et pourtant, tous les protagonistes de cette version de concert vont nous offrir une soirée de rêve.
Au premier acte, nous sommes dans les coulisses de la Comédie-Française. Quatre jeunes comédiens (les excellents Giulia Scopelliti, Thandiswa Mpongwana, Pete Thanapat et Léo Vermot-Desroches, membres de la troupe de l'Opéra de Lyon) se pressent autour du régisseur Michonnet et là, première surprise, le rôle, d’ordinaire confié à un chanteur en fin de carrière, est interprété par le baryton de bronze de Misha Kiria qui donne le ton de ce qui va suivre : pas d’excès de glotte, pas de larmoiement facile, de la tenue et de la distinction.