L’Opéra de Lyon ouvre sa saison avec le chef-d’œuvre d’Alban Berg, dans la mise en scène de Richard Brunel, par ailleurs directeur général et artistique de la maison depuis trois ans. Créé en 1925 à Berlin, cet opéra qui met en évidence les injustices sociales et le drame de la condition humaine raconte l’histoire de Wozzeck, soldat ayant eu un fils de Marie, ancienne prostituée. Il sert de cobaye pour les expériences d'un médecin sans scrupule afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il est victime d’hallucinations et quand il découvre que Marie le trompe, il la tue dans un accès de folie puis se suicide.
La mise en scène de Richard Brunel supprime l’univers militaire et recentre l’action dans un espace confiné où Wozzeck et sa famille sont constamment sous surveillance vidéo, pour mieux souligner l'enfermement psychologique, l’aberration de ce récit sombre où rien n’échappe aux autorités et qui vire au cauchemar.
On reste en effet ce soir en permanence dans un espace intérieur, entre la vaste salle grise du laboratoire médical, dominée par un projecteur central suspendu et articulé, et les passages réguliers dans l’appartement de Wozzeck et Marie, formé de deux caissons sur roulettes qui permettent de rapides enchaînements entre les scènes successives. Ces choix du metteur en scène sont pertinents pour définir l’enfermement de ce huis clos ; ils permettent aussi une fluidité entre les différents tableaux de l’opéra. Ceci même s’il nous manque sans doute l’habituelle ambiance extérieure en fin d’ouvrage, quand Wozzeck tue Marie près de l’étang à la tombée de la nuit, puis lorsqu’il s’y noie en voulant y jeter le couteau. À la place, Wozzeck, après le meurtre de Marie dans l’appartement, se suicide sur sa chaise de cuisine, en toute fin de représentation. Puis l’enfant met le couvert pour trois, comme si de rien n’était, en présence de ses parents, deux corps sans vie attablés.
La distribution vocale est formidable, emmenée par Stéphane Degout dans le rôle-titre, Wozzeck d’anthologie. Moqué et manipulé par le processus d’expérimentation, se baladant continuellement avec son sac plastique de médicaments à la main, le personnage paraît toutefois moins fou que nombre de ses prédécesseurs, ici auteur d’un crime passionnel plutôt que gagné par une folie meurtrière. La voix saine et sereine semble inébranlable, même dans ses accès de colère les plus puissants, et par elle passent également l’humanité et le funeste destin du protagoniste.
La Marie d’Ambur Braid prend aux tripes dans ses séquences parlées, comme lorsque, de manière prémonitoire, elle défie Wozzeck qui la menace « Lieber ein Messer in den Leib, als eine Hand auf mich » (Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi). Le chant, toujours expressif, prend parfois une ampleur considérable, en particulier lorsqu’elle s’exprime dans l’appartement qui produit l’effet d’une boîte acoustique. Les ténors amènent aussi beaucoup de satisfactions, avec par ordre d’apparition le Capitaine insidieux de Thomas Ebenstein, aux aigus en voix de tête pour les plus hauts, le ténor lyrique projeté avec une forte énergie de Robert Lewis en Andrès, le Tambour-major sans scrupule de Robert Watson et le Fou de Filipp Varik, à l’apparition plus épisodique. La basse Thomas Faulkner confère enfin de l'autorité à son personnage du Docteur.
À la baguette, l’actuel directeur musical de l’Opéra de Lyon Daniele Rustioni fait une nouvelle démonstration de son art, assurant la constante qualité du discours musical et un équilibre confortable entre fosse et plateau. La technique de cette difficile partition est maîtrisée avec brio : très nombreux changements, voire cassures de rythmes, styles très variés, qui s’aventurent parfois jusqu’à la dissonance, notamment pour ce qui concerne les six instrumentistes qui interviennent sur scène au cours du troisième acte. Solidement préparés par Benedict Kearns, les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra de Lyon amènent enfin leur contribution, pleinement satisfaisante des points de vue vocal et du jeu théâtral.
Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra National de Lyon.
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