Piotr Anderszewski est un artiste à part, qui ne se laisse porter ni par les modes, ni les tendances, ni les conventions comme lors de son abandon du prestigieux concours de Leeds, après sa demi-finale, alors que la victoire lui semblait promise. Partageant son temps entre Paris et Lisbonne, le pianiste polonais est dans cette quête d’absolu et de perfection qui caractérise les artistes expérimentateurs et parfois même transgressifs, dans la lignée d’un Glenn Gould avec qui il partage une minutie maladive et un goût non dissimulé pour Bach.
Son programme met à l’honneur Bach avec une sélection de six préludes et fugues du deuxième livre du Clavier bien tempéré, véritable cathédrale du piano, et les Variations Diabelli de Beethoven, à l’atmosphère et aux sonorités qui ne sont pas sans rappeler la fameuse sonate « Hammerklavier ».
Le natif de Varsovie opte pour un Bach aux textures romantiques, grâce à une omniprésence du legato et un fondu harmonique, servis par un toucher fin et intimiste qui déploie peu à peu une lumineuse brume, un soleil gris. Chaque prélude marque une nouvelle étape d’une odyssée tandis que les fugues symbolisent le questionnement intérieur de ce héros vagabond. Le tempo est très métronomique, le phrasé réduit à sa plus simple expression, manquant de souplesse ; l’emphase est mise sur la polyphonie naturelle de l’écriture de Johann Sebastian Bach.
Le premier prélude ressemble à une récitation, mimant la marche d’un voyageur. Aucun plan sonore ne se détache, le périple est des plus paisibles. Dans le dix-septième prélude, les notations rythmiques sont réduites à leur plus simple expression, une belle progression chromatique avant la réexposition du motif principal ne compense malheureusement pas une ligne taillée trop franchement et manquant de direction : cherche-t-il à suggérer que le voyageur s’est égaré ?
Malgré un toucher fin, la projection sonore est trop limitée, les mordants sont peu accentués en général comme dans la dix-septième fugue ; nous assistons à une discussion intérieure du pianiste avec lui-même. Le discours manque de caractère, en témoigne un phrasé souvent trop mou, si bien que l’on peine à distinguer trop souvent les voix et la polyphonie : dans le vingt-troisième prélude, celle-ci est sacrifiée au profit d’un tempo frénétique, avec des lignes entrecoupées par des accords accentués à la main gauche, en réponse aux gammes fatidiques de la main droite.