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Antigone de Pascal Dusapin à la Philharmonie, entre loi des hommes et voix des dieux

Por , 10 octubre 2025

La grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris accueille ce soir un « operatorio » de Pascal DusapinAntigone. Avant même que la musique ne commence, le décor de Netia Jones (qui assure aussi la mise en scène) annonce la couleur : à jardin, d’imposantes colonnes blanches forment l’entrée du palais de Créon et suggéreront à plusieurs reprises un dédale. À cour, sur un poteau, deux écrans diffusent les prises de parole des personnages qui s’approchent des micros placés sur le devant de la scène, sinistre point presse. L’atmosphère, pesante, froide, presque nauséabonde, est exacerbée par la déclinaison systématique du noir et du blanc. Décors, costumes, diffusions vidéo, chaque élément rappelle l’opposition qui se joue dans le drame : Créon refuse catégoriquement d’offrir une sépulture à Polynice, traître de la Cité et frère d’Antigone. Celle-ci se dresse au nom d’un devoir sacré, mue par l’amour fraternel et la fidélité aux dieux.

Antigone à la Philharmonie
© Cordula Treml

Le livret de Pascal Dusapin prend appui sur l’Antigone de Sophocle traduite par Hölderlin et narre, en allemand, la condamnation d’Antigone après l’inhumation proscrite de son frère, la prise de parti d’Hémon (fils de Créon et fiancé d’Antigone) pour sa promise, le rappel à l’ordre divin du devin aveugle Tirésias (coiffé d’un casque de réalité virtuelle) puis la mort d’Hémon et Antigone. De la version originale du texte disparaît le chœur, devenu, en qualité de citoyens de Thèbes, le public de la Philharmonie, témoin muet – mais non moins bouleversé – du drame.

Dusapin offre une voix à part entière à l’orchestre placé au parterre, en dessous de la scène et doté de nombreuses percussions. Dans le sublime prologue duquel se dégage la mélopée de la flûte en sol (réminiscence de l’aulos funéraire grec ?), le compositeur propose ce qui sera son matériau instrumental durant tout l’opéra : des nappes diffuses nimbées de sonorités de tam-tam, de gongs, de woodblocks et de cloches tubulaires auxquelles se superposent des fulgurances rythmiques, souvent stridentes, des cuivres et des bois. Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris rendent avec acuité la tension dramatique de cette partition.

Antigone à la Philharmonie
© Cordula Treml

De grands climax ponctuent les événements marquants comme les discours péremptoires de Créon. Filmés et retransmis sur deux écrans avec un temps de latence, ces monologues de Tómas Tómasson costumé en Général évoquent la distorsion d’une télé à tubes cathodiques. Le mapping vidéo de Lightmap, projeté sur les colonnes, reprend les mêmes zébrures blanches et noires, les fait se mouvoir comme représentation du temps qui passe et entretient une atmosphère angoissante. À mesure que la tragédie s’accomplit, les lignes noires deviennent barreaux, puis tâches se répandant à la mort d’Hémon et d’Antigone. Des moments hors du temps, sans intervention vocale, apportent une coloration archaïque : un dialogue entre la harpe et la flûte donne lieu à une résonance lors de laquelle la harpe, aux accords fragmentés, rencontre la dureté sonore du mouchetage glockenspiel/cloches tubulaires.

La vocalité des personnages suit de près un livret efficace au discours particulièrement percutant. Si le dessin vocal présente des inflexions surannées, l’oscillation équilibrée et subtile entre parlé et parlé-chanté diversifie des formules redondantes et renouvelle l’écoute.

Antigone à la Philharmonie
© Cordula Treml

Sur scène, l’incarnation des personnages par la distribution rend l’œuvre poignante du premier au dernier souffle. La mezzo-soprano Christel Loetzsch campe une Antigone courroucée et déchirée, dont la voix ample et dense embrasse sans faillir l’ambitus vertigineux convoqué par Dusapin. Face à elle, le jeu scénique de la basse Tómas Tómasson manque parfois de réalisme lors de ses interactions, mais convainc dans son effondrement psychologique alors qu’il se rend compte des conséquences de ses décisions à cause desquelles son fils, Hémon, incarné par Thomas Atkins, trouve la mort. Le désarroi de Jarrett Ott en messager impuissant est palpable : sa dénonciation a ébranlé les fondements politico-religieux de Thèbes. En Tirésias, la basse Edwin Crossley-Mercer fait froid dans le dos, au même titre que le haute-contre Serge Kakudji (Coryphée) qui parachève un beau casting.

****1
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“l’incarnation des personnages rend l’œuvre poignante du premier au dernier souffle”
Crítica hecha desde Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, París el 7 octubre 2025
Dusapin, Antigone
Klaus Mäkelä, Dirección
Netia Jones, Dirección de escena, Diseño de vestuario
Éric Soyer, Diseño de iluminación
Orchestre de Paris
Christel Loetzsch, Antigone
Anna Prohaska, Ismène
Tómas Tómasson, Créon
Jarrett Ott, Un Messager
Thomas Atkins, Hémon
Edwin Crossley-Mercer, Tirésias
Serge Kakudji, Coryphée
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