On ne connaît pas les raisons qui ont conduit Barbara Hannigan à associer les Métamorphoses de Richard Strauss et La Voix humaine de Francis Poulenc en ce jeudi soir dans la Salle des concerts de la Cité de la musique. Faut-il y voir un parallèle entre un impossible adieu à l'amour (chez Poulenc) et l'adieu à un monde révolu (chez Strauss) ?
La dernière œuvre orchestrale de Strauss est celle d'un homme qui a vu sa ville natale Munich bombardée par les Alliés en 1943, et qui assiste meurtri au plus profond de lui-même à l'effondrement d'un monde, d'une culture, d'une civilisation (celle de Goethe et de Beethoven) ravagés par la guerre et le nazisme. Ces Métamorphoses – où l'on reconnaît la marche funèbre de la Symphonie « Eroica » – sont comme un vaste thrène funèbre, un adagio de près d'une demi-heure confié à 23 cordes solistes.
L'apparente simplicité de la structure cache une complexité sonore, dont peu de chefs savent clarifier le discours. Barbara Hannigan a une gestuelle élégante, mais elle n'impose pas une vision, une direction, laissant un peu l'Orchestre Philharmonique de Radio France livré à lui-même. Il en résulte un joli son d'ensemble, parfois perturbé par quelques défauts de justesse, mais on attendait ici une tension, un engagement qui aurait sorti et les musiciens et le public de leur zone de confort.
On reste en revanche curieux de voir ce que va donner, en seconde partie, une performance combinant trois disciplines réunies chez la même personne. Barbara Hannigan va jouer, chanter et diriger en même temps le monodrame de Jean Cocteau La Voix humaine créé en 1930 par Berthe Bovy à la Comédie-Française, mis en musique par Francis Poulenc qui en fera une « tragédie lyrique » en un acte et un seul personnage trente ans plus tard.
Barbara Hannigan va livrer une prestation époustouflante. Elle nous réconcilie d'abord avec un texte qu'on a toujours jugé désuet et parfois artificiel, un drame bourgeois daté que seules sauvaient des interprètes exceptionnelles. Ce soir, plus d'intérieur cossu, de téléphone à fil qui coupe sans arrêt, de femme suspendue au bon vouloir d'un amant désinvolte. Barbara Hannigan, comme dans la première partie, prend place sur le podium face à l'orchestre et aux caméras maniées par le vidéaste Clemens Malinowski.