S’attaquer à Rossini implique de comprendre son alchimie – en somme, de se souvenir qu’il ne peut exister sans qu’on mobilise la légéreté et la tenue, le souffle et la précision. Du souffle, de la légèreté, du Rossini « champagne », il y en a à foison, sur la scène du théâtre mobile de Baugé. Les chanteurs s’y succèdent sans temps mort, mènent le vaudeville sans peine. Les chœurs s’y meuvent avec un plaisir manifeste, et se montrent à nouveau tout à fait consistants.
Et ce sont ici encore les portraits moraux les plus burlesques qui portent le récit, face à la naïveté des personnages principaux : les odieuses sœurs s’en donnent notamment à cœur joie : la voix pétillante et le jeu malicieux de Moreno Hayworth (Clorinda) et le timbre plus doux et enlevé de Latana Phoung (Tisbé) se conjuguent avec bonheur et une belle cohésion. Patriarche bedonnant, incommode et aviné, le Don Magnifico a la voix impeccablement placée de Stephen Kennedy, qui maîtrise le verbe et l’esprit rossiniens sans peine. L’Alidoro de Nicholas Merryweather brille par la profondeur de son timbre, et le Dandini de Woochul Eun par la chaleur et l’expressivité de sa voix. La Cenerentola de la jeune Aigul Akhmetshina ne manque pas de fraîcheur et de générosité, et l’on suivra volontiers l’itinéraire de cette prometteuse mezzo russe : les trilles sont encore un peu denses, mais la voix est claire et suave. Face à elle, le Ramiro de Tristan Stocks apparaît un peu en-deçà – la voix est belle, mais un peu feutrée et par endroits incertaine. Le tout fait naître la féérie sans la transformer en merveilleux de pacotille, et le rire sans jamais tomber dans le trivial. La mise en scène de Bernadette Grimmett minimise ses effets pour laisser éclore l’élégance de ce conte devenu comédie.