Ce vendredi soir, il y a pléthore d'offres de concert alléchantes dans la capitale. La curiosité a guidé notre choix : ce sera le Chineke! Orchestra à la Philharmonie pour un hymne avoué à la diversité, le type même de concept qui peut autant servir que desservir la cause qu'il est censé défendre. Il ne faudra pas plus de quelques minutes pour que toute réserve soit balayée et que le critique comme le public très composite soient emportés par la houle du succès.
Explication : cet orchestre, basé à Londres, fête ses dix ans d'existence et entame à Paris une tournée anniversaire en Europe. Il est né du constat d'une musicienne, la contrebassiste Chi-chi Nwanoku, de l'absence de visibilité, ou d'une sous-représentation (ce qui revient au même) des musiciens et des compositeurs d'origine non européenne. Un premier concert en septembre 2015 au Southbank Centre fut suivi d'un second, et l'orchestre était né. Lorsque le Chineke! entre sur la vaste scène de la Philharmonie, c'est bien sûr la variété des visages qui frappe, mais c'est plus encore la joie contagieuse qui les illumine, jeunes ou moins jeunes. Ce petit quelque chose qui nous dit leur bonheur d'être là ce soir. En témoignera d'ailleurs une intervention au micro du co-directeur artistique de la formation, un sosie de Pharrell Williams, lunettes blanches et pourpoint rose, qui mettra toute la salle dans sa poche par son humour et sa courtoisie so british.
La première pièce, une ballade pour orchestre fort bien troussée du très britannique Samuel Coleridge-Taylor (né d'un père sierra-léonais), navigue entre Grieg pour la grâce mélodique et Elgar pour la majesté. Le jeune chef américain Roderick Cox impose une autorité tranquille et diablement efficace à ses musiciens et nous révèle une phalange un peu acidulée, un peu rough comme on dit outre-Manche, mais d'une fraîcheur, d'une ardeur qui iront croissant tout au long de la soirée.
On attend avec impatience le Triple Concerto de Beethoven, et les solistes stars que sont Sheku (au violoncelle) et Isata Kanneh-Mason (au piano) avec la violoniste américaine Tai Murray. On avait laissé Sheku (comme il est convenu de l'appeler) sous une tignasse encore abondante dans Chostakovitch il y a deux ans, on le retrouve ce soir la boule à zéro, mais toujours avec ces expressions enfantines sur le visage et son style si touchant. C'est au violoncelle que Beethoven confie les plus belles phrases de son concerto : non seulement Sheku est d'une justesse sans faille, alors qu'il joue la plupart du temps dans le registre le plus aigu de son instrument, mais il est d'une grâce, d'une douceur (notamment dans le sublime « Largo ») qui feraient fondre les plus endurcis.