Le premier opéra de la saison lyonnaise peut s’enorgueillir d’avoir retenu l’attention : La Damnation de Faust présentée cet automne est une révision audacieuse du mythe européen. David Marton en propose une relecture résolument américaine, dans laquelle cohabitent sophistication et satire.
La théâtralité de cette Damnation se revendique dès avant l’ouverture : c’est le chœur en déclamation (des textes supplémentaires enrichissent le livret de Berlioz d’après Goethe) qui en est le premier porteur. Des montagnes escarpées au fond de la scène se détache un pont en béton nu coupé au milieu. Peut-être est-ce là l’endroit où David Morton fera mourir Faust dans la folle course finale : le héros intègre les Enfers par un accident de voiture, et le Pick-up des années 50 est déjà en place, contre-point de ce paysage brut qui est rendu extrêmement flexible par la lumière et des métamorphoses successives.
De petites scènes s’y succèdent dans les premiers tableaux : le chœur d’enfants, de braves petits pionniers soviétiques, célèbre l’ouverture du pont, tout en chantant de façon muette sur les sons d’orchestre. Il est dirigé par une fillette – la mise en abyme de l’opéra, comme du théâtre, sera un procédé permanent, présent également dans ce sursaut de poignet dans le chœur d’hommes qui, d’un tic, devient direction collective, dans tel geste de Méphistophélès, chef qui orchestre le sort des personnages.
Mais avant d’en arriver là, il faut un pacte diabolique, et la peur et le désespoir qui le préparent s’emparent soudainement du plateau, jusqu’au cheval parqué sous le pont (si sa frayeur n’est pas réelle, il sait vraiment bien jouer). Dans son bureau, Faust ne se lamente qu’en surface en philosophe, plus concrètement, on voit dans son abattement suicidaire celui du commis voyageur d’Arthur Miller.
La séduction de Méphistophélès opère sur sa victime consentante dans un contexte politique : la cave d’Auerbach à Leipzig calée sous le pont voit le diable détourner à son profit le succès d’une réunion syndicale ou d’un meeting de campagne : le militantisme tourne au lynchage de l’ancien leader, dont le Machiavel des temps modernes fait habilement disparaître le cadavre.
Pour troisième partie, le décor s’emballe, littéralement : de simples tissus blancs travestissent la scène en intérieur, chambre de Marguerite. Celle-ci fait son apparition dans un Kimono, dont elle se défait lentement, comme de ses bas, pour se mettre au lit en nuisette sous l’œil voyeur du spectateur ; il y a quelques rires sous cape dans le public, qui, reconnaissant en elle la Carmen de l’année dernière (dans la mise en scène d’Olivier Py), doit penser que la damnation de Kate Aldrich à l’Opéra de Lyon, c’est d’être obligée de ne s’y présenter qu’en stripteaseuse…