Depuis sa création en 2004 par David Grimal, l’ensemble à géométrie variable Les Dissonances ne cesse de surprendre. Cet orchestre sans chef initie dans les habitudes de pensée une divergence constructive, montre une nouvelle manière d’envisager la musique symphonique sans pour autant cultiver l’anticonformisme. Les musiciens, issus des plus grands orchestres d’Europe, chambristes de renom ou jeunes talents prometteurs, jouissent de la plus grande liberté au sein de cet ensemble et proposent une lecture renouvelée des œuvres, fondée sur un idéal de collaboration commune, de partage, d’échange. Dotés d’une curiosité sans faille les ayant menés récemment dans les contrées de Chostakovitch, Tchaïkovski et Mozart, ils empruntent ce soir des courbes ravéliennes.
L’entrée en matière se fait avec les Valses Nobles et sentimentales, sans David Grimal. Bien que rendant hommage aux valses viennoises ainsi qu’aux valses de Schubert, celles de Ravel sont résolument modernes par leurs harmonies osées et leurs rythmes plus intrépides que ceux de leurs consœurs viennoises. Rythmes syncopés et francs dans le premier mouvement, baguenaude ingénue dans le troisième, sens aigu du phrasé dans l’avant dernier, leur exécution sans chef est un défi dont les musiciens s’en sortent tout à fait honnêtement. Malgré la propreté et l’intelligence du phrasé, malgré les admirables pizzicati des violons égrainés dans le 3ème mouvement Modéré, force est de constater que cette entrée matière ne subjugue pas, ne contient ni l’enthousiasme ni l’alchimie qui affleurera dans tout le reste du concert.
Sans doute l’arrivée de David Grimal fut-elle le catalyseur, le galvaniseur. C’est dans le fameux Tzigane, rhapsodie de concert, que le violon entre en scène sur la corde de sol, seul à découvert pendant plus de quatre minutes. Le jeu farouche et noble du violoniste impressionne par son assurance. Si les difficultés techniques sont redoutables dans l’exploration des différentes cordes (doubles cordes, harmoniques, glissandi..), il ne semble guère les remarquer, sinon en leur jetant de délicieux clins d’œil provocateurs. Puis l’orchestre émerge en une voix qui bien que plurielle semble émaner de la même respiration, tant l’écoute est attentive, tant les intentions sont partagées. Le vertige nous saisit dans l’accelerando final sulfureux qui d’un seul élan suffit à rabrouer les sceptiques ou les zélateurs du chef dans l’orchestre.