A la Roque d'Anthéron, concerts et récitals se donnent dans un grand parc ceint d'une double rangée de platanes, un par jour de l'année, plantés, dit-on, sous la Révolution française. C'est là, sur la grande scène posée sur un bassin circulaire empli d'une eau transparente, surplombée par une conque faite de panneaux blancs savamment disposés et orientés pour envoyer le son vers les gradins où prend place le public que David Kadouch entre à 21 h 30 pour un récital placé sous la bannière de la « Révolution ».
Programme passionnant qui va rapprocher des œuvres que l'on n'entend jamais pour l'une d'elles, de plus en plus pour une autre et jamais ensembles pour les autres... Qui a jamais entendu en récital, Les souffrances de la Reine de France, Op.23 de Jan Ladislav Dussek ? Une oeuvre dont les mouvements suivent un programme explicite « La reine est emprisonnée » à « La guillotine tombe » en passant par « Elle doit se séparer de ses enfants », « Sa résignation » que la musique ignore peu ou prou tant elle est vive, marquée par Haydn et Mozart, contrastée certes, mais sans la charge expressive, voire doloriste, que l'on pourrait logiquement attendre de pareils titres : à peine entend-on la guillotine tomber ! Mais l'on admire la façon dont David Kadouch anime cette pièce à travers un jeu vif, articulé finement, appuyé sur un son aussi lumineux qu'il chante au fond du clavier. C'est magnifique, mais pourrait tout aussi bien être la mise en musique d'une recette de cuisine de la capture du homard à sa découpe. La faute à Dussek qui a beaucoup de talent mais aucun génie.
La Sonate « Les Adieux, l'Absence, le Retour » de Beethoven est une tout autre affaire. Dédiée par le compositeur à son ami l'archiduc Rodolfe contraint de prendre la fuite face aux armées napoléoniennes, cette sonate assez courte est d'une densité qui illustre bien son programme, le compositeur rappelant ainsi un caprice composé par Bach pour fêter le retour de son « frère bien aimé ». Mais quelque chose ne va pas dans le jeu de Kadouch qui manque de concentration, de détermination dans les deux premiers mouvements, échouant à créer cette atmosphère d'affliction qui les caractérisent. On le sent d'autant plus nerveux que la pédale du piano fait couiner les étouffoirs et qu'une note rebondit dans le pianissimo. Plus tard, on apprendrait qu'un grillon s'était coincé dans la mécanique ce qui fera de plus en plus couiner le piano dans les pianissimos. Le « finale » enjoué, va bien mieux au pianiste qui caracole avec une effervescence réjouissante. Révolutionnaire, la Douzième étude, Op.10 de Chopin ? Révolutionnaire, le Premier Scherzo ? Oui, mais pas que pour les raisons historiques de leur composition, ils le sont surtout par leur écriture, leur nature même. Qui, avant Chopin, avait osé un accord aussi violent, aussi dissonant que celui de son opus 20, qui avait osé cheminement harmonique si étrange autour de la tonalité principale ? Kadouch, malgré son piano aux réactions étranges, donne une interprétation juste et parfois étreignante de ce scherzo si difficile : inoubliable « berceuse » centrale murmurée avec éloquence et sans sentimentalité.