Pour qui adore les trios de Schubert, ce 14 avril offrait l’embarras du choix : le All-Stars band Kissin-Rachlin-Maisky en donnait l’opus 99 au Théâtre des Champs-Élysées ; la formation Pascal-Milone avec Éric Lacrouts, l’opus 100 à Gaveau. David et Goliath ? C’était sans compter l’extraordinaire engagement des musiciens rassemblés autour de Denis Pascal pour cette nouvelle édition de Schubertiades. Ce soir, le pianiste a ramené dans ses bagages toute une smala de jeunes musiciens, rivalisant de prestesse.
En amont des œuvres chambristes, quelques lieder : An Silvia, Frühlingssehnsucht, An Mignon et Die Junge Nonne. La soprano Camille Poul se montre d'une qualité supérieure de timbre et d'émission. Sa prestation n'appelle pas de reproche majeur, si ce n’est la lourdeur de certains accents et des notes de transition un brin faiblardes. Denis Pascal est un accompagnateur hors-pair ; il aménage pour sa partenaire des tapis de chute ou lui sert au contraire de tremplin à certains endroits stratégiques. Le pianiste semble d’ailleurs plus occupé par les questions de texture, de respiration que par les notes individuelles. Qu’à cela ne tienne, ça fonctionne !
La sonate pour Arpeggione révèle au public le jeune Aurélien Pascal, au jeu vigoureux, volatil et violemment coloré. On lui remarque une certaine tendance à limer les attaques, pouvant nuire à terme à la précision et au volume des notes de passage. Pourtant, quelle continuité dans la ligne et dans le souffle ! Avec toujours beaucoup d’élégance, notamment dans l’exposition du thème, Denis Pascal semble se couler dans la respiration de son partenaire. L’Allegro moderato terminera à tempo et volume mourants. Belle raucité de l’archet dans l’Allegretto, et quelques phrasés « à la Shafran » gagnants pour Aurélien Pascal. Nulle hâte mais un sens de la ponctuation, une merveilleuse plasticité de rythme et de volume.
S’il devait effectivement y avoir un pâtre sur le rocher, ce serait lui. Comment résister en effet au formidable influx dont Raphaël Sévère anime l'œuvre tout entière ? Voir ce grand gaillard danser comme sur un socle avec sa petite clarinette, l’entendre surgir du néant sans tressaillir... quel enthousiasme, qui plus est souligné sans vergogne ! On se rappellera longtemps cette pieuse sollicitude du geste, entièrement tendu vers l’autre. En constante apesanteur et sans stridulation, sa clarinette nous élève vers la lumière. L’œuvre convient davantage à la soprano Camille Poul, probablement mieux chauffée, qui s’y montre divinement fraîche, comme autrefois Ameling ou Schumann. Les tenues, sans doute mieux adaptées à sa voix, lui permettent de balayer toute une variété de couleurs en un souffle.