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Die tote Stadt à La Monnaie : d’une enivrante morbidité

Por , 23 octubre 2020

C’est avec l’un des chefs-d’œuvre de Korngold que La Monnaie / De Munt ouvre ses portes au public en ce début de saison. Et c’est là la force du théâtre bruxellois : faire de Die tote Stadt, opéra somme toute méconnu du grand public, l’un des événements majeurs dans l’année.

Il est réellement difficile de donner corps à cette œuvre, de par son aspect immatériel et sombre. Fort heureusement, le travail conjugué du metteur en scène Mariusz Treliński et de toute l’équipe technique et artistique parvient à créer une atmosphère idéale entre morbidité et passion, entre folie et lucidité, entre vie et mort. Sorti de la fosse et relégué en fond de scène, l’orchestre agit comme véritable point d’accroche au spectacle, moteur de l’action et véritable poète tout au long de l’ouvrage. C’est donc autour d’un orchestre presque spectral et de trois « cages » de plexiglas encadrées de néons que les personnages évoluent, nous faisant parfaitement entrevoir le sanctuaire de la femme défunte, le théâtre où travaille Marietta et le salon morne et froid de Paul.

La folie de Paul est dépeinte avec une morbidité crasse, une perversion malsaine grâce aux lumières et aux décors de Marc Heinz et Boris Kudlička. Des teintes verdâtres et fantomatiques, des danseuses en haillons, et un deuxième acte qui entre dans une folie dégénérative, dérapant légèrement dans le gore : tout est fait pour nous faire ressentir le malaise et l’horreur du rêve de Paul. Mais le véritable tour de force de cette production est de nous montrer cet effroi, ces visions cauchemardesques et irréelles, avec des personnages bouleversants d’humanité dans leur douleur, leur émerveillement, leur impulsivité et leur passion. Le couple principal est formidablement assorti, et même si Roberto Saccà (Paul) paraît parfois assez préoccupé par la partition, leurs fragilités et leurs passions sont un brasier qui enflamme intensément tout le plateau.

On retrouve malheureusement ce fameux écran géant, véritable lubie des metteurs en scène ces dernières années, qui nous assène quelques lignes importantes du texte chanté et saucissonne le spectacle en un enchaînement d’épisodes. Mais lorsqu’il quitte cet aspect pseudo-narratif, cet écran permet d’installer des ambiances bien précises qui épaulent à merveille les autres aspects du décor. Le duo « Glück das mir verblieb » au premier acte devient ainsi un moment d’une intensité, d’une délicatesse et d’une intimité extraordinaire. Paul et Marie, à nu face au texte si émouvant de cette chanson, assis en bord de scène dans tout ce qu’ils ont de plus humain et sensible, doucement éclairés par le grand écran suggérant de sublimes images de méduses phosphorescentes, nous offrent un moment hors du temps, au plus près de l’extase.

Pour le casting vocal, les petits rôles du deuxième acte trouvent cet aspect dérangeant et jouissif si approprié, les voix de femmes accompagnant joliment la chanson de Pierrot. Celui-ci, maquillé en clown cauchemardesque nous livre une performance de démence violente et crue après son air. Mais la voix de Nikolay Borchev peine légèrement face à cet air si exigeant, manquant de brillant et trouvant ses limites dans l’aigu de la tessiture comme dans le maintien du lyrisme de l’écriture de Korngold. Quant à Bernadetta Grabias, le métal de sa voix est en adéquation avec une vision très détachée et presque froide du rôle de Brigitta, tout en conservant une diction exemplaire. Le Frank de Dietrich Henschel n’a pas la même définition que sa consœur dans le texte ni dans les attaques, mais la voix supporte admirablement rôle, à la fois effrayé et encourageant face à Paul.

Roberto Saccà est un Paul surprenant : lors de son entrée, on est d’abord gêné par la voix très nasillarde, le vibrato appuyé et une absence de graves déstabilisante. Mais plus on avance dans le drame et plus on est ébahi quant aux performances du ténor allemand face à l’une des plus exigeantes partitions jamais écrites pour cette voix. Au paroxysme de cette solidité : les dernières paroles chantées, reprenant le thème du duo du premier acte, qu’il entonne couché au sol avec une extraordinaire facilité après deux heures de spectacle. Marlis Petersen en Marietta/Marie ne laisse de son côté aucun doute sur l’absolue splendeur de son timbre et de son adéquation au rôle. Son attitude successivement insolente, amoureuse, impulsive, passionnée, modèle un personnage très vivant et formidablement attachant. Les difficultés vocales de son rôle n’ont aucune prise sur elle, la netteté de ses attaques et la pureté de ses mezza di voce ravissent constamment.

Que serait enfin Die tote Stadt sans un orchestre en effervescence constante ? L’Orchestre de la Monnaie et Lothar Koenigs prennent toute la place qui leur incombe. Dans une splendeur des timbres constante, les instrumentistes nous offre tous les détails les plus délicieux de cette partition. Du plus subtil perlé de piano aux extraordinaires vrombissements des cuivres, l’orchestre parvient à redonner vie à La Ville morte, à caresser tendrement les personnages ou les exciter violemment, garantissant le sentiment de jouissance absolue que délivre cette partition.

*****
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“une atmosphère idéale entre morbidité et passion, entre folie et lucidité, entre vie et mort”
Crítica hecha desde La Monnaie | De Munt: Grand Hall, Bruselas el 22 octubre 2020
Korngold, Die tote Stadt (The Dead City)
Lothar Koenigs, Dirección
Mariusz Treliński, Dirección de escena
Boris Kudlička, Diseño de escena
Marek Adamski, Diseño de vestuario
Marc Heinz, Diseño de iluminación
Roberto Saccà, Paul
Marlis Petersen, Marietta
Dietrich Henschel, Frank
Bernadetta Grabias, Brigitta
Martina Russomanno, Juliette
Lilly Jørstad, Lucienne
Florian Hoffmann, Victorin, Gaston
Nikolay Borchev, Fritz
Mateusz Zajdel, Graf Albert
La Monnaie Symphony Orchestra
La Monnaie Children's Chorus
La Monnaie Chorus
Benoît Giaux, Dirección de coro
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