Yo soy la locura : avec la mélodie d’Henry du Bailly, les musiciens deLa Galanía et avec eux l’éblouissante chanteuse Raquel Andueza relient parfaitement leur concert aux sons produits la veille par la Capella de Ministrers, dans la suite des festivités musicales organisées par les Grands Concerts et l’Instituto Cervantès à l’occasion de la double commémoration du père du Don Quichotte. Point de redite, mais une très persuasive intensification entre samedi et dimanche : si le discours amoureux est un point partagé des deux concerts, le récit chevaleresque est délaissé ce soir au profit de la restauration d’un patrimoine jadis censuré par l’Église, et pour cause…
Le morceau éponyme est joué plus rapidement ce soir qu’hier, dans une particulière précision et avec un violon dont la virtuosité et le charme produisent un effet de déjà-vu : mais oui, c’est Alessandro Tampieri, premier violon de l'Ensemble Artaserse, qui m’a éblouie il y a un an à peu près, dans ce même lieu. La complicité qu’il développe avec Raquel Andueza dans leur duo délicatement pathétique de Con esperanzas espero touche au sublime. Simples mais troublantes, les Tres Niñas sont d’une grâce inouïe : amenées par le prélude au théorbe et à la guitare, elles aussi génèrent la folie par l’interprétation de Raquel Andueza et son ornementation ensorceleuse.
Quand le mezzo-soprano présente au public dans un excellent français les Seguidillas de la venta, on réalise vite que toute la poésie d’amour du Siècle d’Or n’est pas courtoise : la chanteuse, en bonimenteuse, investit dramatiquement le rôle du vaurien entrant au bordel et marchandant son coup. Tout aussi expressive, Raquel Andueza détaille les goûts du je dans la Zarabanda del Catálogo, amoureux de toutes, de la femme mariée, de la veuve, de la demoiselle, et jusque du plaisir solitaire, jamais décevant – s’étonne-t-on encore que la censure ait interdit ces morceaux, dont La Galanía souligne la théâtralité par de vigoureuses relances rythmiques ?
La qualité de l’ensemble se mesure non seulement dans la conception d’un programme varié, touchant, sensible, moqueur, dansant, mais aussi dans l’écoute : c’est une attention sans faille et un respect mutuel à tout moment. Puis, dans les magnifiques duos, comme entre la voix et le théorbe – Quien menoscaba mis bienes ? – ou la harpe et la voix, dans Credito es mi decoro. Et lorsque la mezzo en achève la dernière strophe, sur le dernier soupir de l’amant dont la bien-aimée s’est métamorphosée en nuage, et tient simplement la note en pianissimo, émise sans vibration mais pleine d’émotion, non seulement l’audience, mais aussi les instrumentistes sont transis.