Faire entendre l’une ou l’autre des 5 sonates pour piano et violoncelle de Beethoven est monnaie courante ; les enchaîner est une toute autre histoire. De l’élément à la masse, des qualités nouvelles apparaissent : architecture, endurance, cohérence. C’est d’autant plus vrai que François-Frédéric Guy tient la partie piano, soutenu par un Xavier Phillips en proie à une verve étincelante. Codicille à l’intégrale Guy-Gastinel de 2004 ? Conception futuriste en tout cas, plus résolument ancrée dans le nouveau siècle.
L’entrée en matière a lieu sur un accord tenu de sol mineur, celui de l’opus 5,2. Conscience ultime du climat : la musique semble procéder d’un drame psychologique. La douleur, lorsqu’elle transparaît, n’est plus donnée algébrique ou musicale ; elle est vécue par l’interprète. Il n’y a aucun fléchissement de phrasé dont nous ne soyons sûrs, pas la plus infime vibration qui ne soit profondément habitée. Quelques accords espacés forment une transition avec l’Allegro, véritables expirations de maître yogi. De gravité, on passe à véhémence. François-Frédéric Guy frappe par la pleine scansion des voix intérieures, même par temps de doubles-croches. Sans l’ombre d’un legato, le jeu de Xavier Phillips traduit son goût pour la netteté, le mordant et l’impulsivité. Grande vitesse d’archet, superbe accroche de la corde (sauf peut-être dans les pianos, qui ont tendance à être survolés), autant d’attributs idéaux pour ce répertoire où l’énergie fait mouche à tous les coups.
L’opus 69, déjà représentative d’une seconde période stylistique, abandonne le discours pathétique des sonates opus 5 pour un climat plus pastoral. Inoubliable entrée du piano, que François-Frédéric Guy dote de courbes jusqu’alors inconnues, de silences pleinement vécus. Voici encore une lecture à forte « valeur ajoutée », car garnie de trouvailles. Exploration plutôt méritoire des ressources de l’instrument moderne : le pianiste n’hésite pas à engager quelques couleurs impressionnistes (on est loin du piano-forte). Le jeu est pulsé, porté par une inertie quasi orchestrale, dans un sens des couleurs qui rappelle Nelson Freire. Tout le premier mouvement sera pénétré de cette idée de gratitude, tendant par moment vers la joie plénière : si rapidement évoquée qu’elle soit, elle apparaît comme un acte processif, savouré par l’interprète. Vitesse périlleuse mais gagnante dans l’Allegro vivace qui clôt cette sonate. Le duo Guy-Phillips en souligne le côté taquin et joueur (notamment au piano par un jeu simple et leste, pratiquement sans pédale). Jeu qui procède par rupture : les musiciens tendent des perches, les retire. Déjouant les attentes par sa solide bonne humeur ( « je ne suis pas ronchon », prend-il soin de rappeler) et la lumière parfois crue de ses accents, Xavier Phillips se démarque par la nervosité de ses contrastes dynamiques, garantissant de superbes effets de surprise.