Hétéroclite, ce programme ? Philippe Herreweghe s’explique du mélange entre profane et sacré, entre lyrisme bref et grand format : Beethoven lui-même l’a donné en concert, dirigeant en personne. Kristian Bezuidenhout, quant à lui, s’en tire remarquablement ce soir de cette mise en parallèle avec le maître de Bonn ; le Collegium Vocale Gent et l’Orchestre des Champs-Élysées chantent et jouent une fois de plus dans une ligue d’excellence qui ne semble pas leur connaître beaucoup d’égaux.
Composée sur deux poèmes de Goethe ayant en commun un thème maritime, la courte cantate Meeresstille und glückliche Fahrt ne pourrait montrer des atmosphères plus opposées. Méditatif et bienfaisant, avec son éclosion progressive d'accords dans les premières mesures, le premier fait entrer dans un cluster harmonique bienfaisant, porté par des grands legati du chœur. Ici et là, conformément à la composition, des gouttes vocales isolées bien articulées éclaboussent agréablement l’oreille d’une fraîcheur qui ne sera complètement révélée que par le deuxième, dominé par la joie et son caractère enlevé et rythmé. Petit bijou supplémentaire, le Elegischer Gesang, chant élégiaque de sept minutes, ne fait pas partie des pages les plus connues de Beethoven, et c’est bien à tort, comme le constate Philippe Herreweghe, qui avoue avoir fait lui-même assez récemment la découverte de ce rêve sonore, commandé par le baron Baptist Pasqualati von Osterberg sur un poème de Franz Castelli, à l’occasion du décès de sa jeune épouse. « Sanft wie du lebtest hast du vollendet » (« Doucement comme tu as vécu, tu es morte ») susurre le chœur, et c’est dans une douce chaleur aussi que les cordes introduisent ce tendre bercement d’une défunte.
La Fantaisie chorale, avec son thème déjà préempté sur le finale de la 9e Symphonie, porte décidément mal son nom français : le chœur n’est réellement concerné que dans le quatre dernières minutes, et c’est le clavier qui est à l’honneur dans cette Fantasie für Klavier originelle, permettant aussi à l’Orchestre des Champs-Élysées, grâce au dialogue, d’exposer ses somptueuses couleurs. Et il y en a, dans cette interprétation sur instruments d’époque qui va jusqu’au bout. Kristian Bezuidenhout apprivoise magistralement son instrument, dont les premiers accords font apparaître des sonorités vraiment insoupçonnées. C’est comme si le magnifique pianoforte Blüthner de Leipzig cherchait d’abord sa légitimité dans cette salle moderne à l’acoustique excellente. Mais les accords se stabilisent en un clin d’œil, et le jeu du soliste fait perler les notes vibrantes comme de minuscules bulles de cristal enchaînées sur une guirlande de Noël. Les cordes entrent en grommelant après ce prélude, puis s’énonce bientôt le thème mondialement connu, exposé et varié dans de toujours nouvelles teintes, pianistiques ou orchestrales : plus sylvestre dans les vents ici, avec quelques rebonds plus furieux, là. Le finale vocal enfin, où le quatuor de solistes d’une belle homogénéité précède l’arrivée en triomphe du chœur, jubilatoire et sans frustration apparente, en dépit de la brièveté de son intervention, que lui impose la partition.