Achevé en 1985 et créé à Mannheim en 2013, l'Idiot de Mieczysław Weinberg est une authentique rareté. Première reprise depuis, on est ravi qu'elle ait enfin été présentée dans des conditions musicales et vocales qui lui rendent pleine justice et contribuent à la sortir toujours un peu plus de l'oubli. Merci au Bolchoï !
Il serait un peu facile de réduire Weinberg à simple "cadet" de Chostakovitch (titre qui lui est disputé par Tischenko, entre autres). S'il est vrai que sa musique présente la même tension latente, le même mordant et une ironie tout à fait semblable, l'harmonie employée a quelque chose de plus opaque, plus abstrait. Elle n'hésite pas à se parer de reflets bartokiens. Dans l'Idiot, Weinberg a mis beaucoup d'idées. Aussi, on se doute qu'il devait être moins tatillon quant à la forme que son maître Chostakovitch : on garde de ces trois heures de musique le souvenir d'une écriture plus dissolue, plus libre aussi, gagnant par là même en imprévisibilité.
Du drame dostoïevskien, l’essentiel est là. Ce que les personnages perdent (inévitablement) en caractérisation psychologique, ils le regagnent au travers de dialogues denses et nerveux, rythmé par de fréquents changements de plateau. La mise en scène est directe, efficace, restreinte au minimum signifiant. Yevgeny Arye mène son monde tambour battant : les lieux et personnages se succèdent à toute allure. Là où d'autres auraient pu meubler par du gag, du visuel, Arye s'en tient à l'essentiel. Scéniquement, c'est parfois aride. Du mobilier, il y en a si peu que les personnages donnent l'impression de parcourir un sanctuaire d'acier. D'ailleurs, ce sont avant tout les costumes de Galina Solovyova qui donnent le ton et resituent l'intrigue dans son époque. Les décors, signés Simon Pastukh s'articulent autour de deux espaces modulables au gré d'un vaste mur pivotant. Sur scène tout est noir ou gris, le reflet des chanteurs se miroitent sur les panneaux latéraux, ambiance kaléïdoscopique que rehausse efficacement des images animées sur le mur du fond. Y sont projetés des avatars stylisés – ici, une touche "cinéma muet" – des personnages, tandis que par les hauts-parleurs crépite une pellicule imaginaire.
De ce roman de Dostoïevski écrit à la hâte, parfois confus et décousu, Arye a voulu conserver la profusion extrême des personnages : toute une armée de messieurs en hauts-de-forme et favoris, les dames en crinoline, vont et viennent sur le plateau ; très efficiente figuration qui brave la neige (des rideaux translucides garnis de flocons s'abaissant) comme le soleil, avant de déjeuner sur l'herbe (les flocons se muant en feuillage). En noir puis en blanc, délibérément interchangeables, les convulsions de cette haute aristocracie nous sont représentées au premier degré – sorte de miroir des crises épileptiques du prince qui, elles, ne sont jamais affichées sur scène.