L’image d’un Mozart fébrile qui, sur son lit de mort, met la dernière main à ce que l’histoire retiendrait comme le Requiem KV 626 s’est gravée dans la mémoire collective avec le film Amadeus de Milos Forman, depuis devenu un classique. Les sources historiques indiquent pourtant qu’un court laps de temps s’est écoulé entre le début de la maladie de Mozart et sa mort. Il est donc peu vraisemblable qu’il ait effectivement eu le sentiment d’écrire sa propre messe de mort. De plus, on exagère toujours l’ampleur du matériau du requiem écrit par Mozart même ; c’est en effet Franz Xaver Süßmayr qui acheva l’œuvre de son professeur, et revendiqua même l’intégralité des derniers mouvements. À en juger par le décalage qualitatif avec le reste de la production de l’élève de Mozart, on peut néanmoins supposer que Süßmayr avait abondamment discuté de l’œuvre avec son maître. La genèse précise de la partition complète n’en reste pas moins nimbée de mystères. Mais une chose est sûre : ces interrogations persistantes n’entament en rien sa beauté.
Iván Fischer n'a pas souhaité associer à ce chef-d’œuvre de la musique liturgique une ambiance excessivement mélancolique. Voilà pourquoi il a flanqué le requiem de deux autres œuvres de la dernière année de la vie de Mozart (1791), avec lesquelles il a parfaitement illustré que le compositeur était resté fidèle à la fin de sa vie à son lyrisme inventif et joyeux. Même les touches nostalgiques du Concerto pour clarinette KV 622 traduisent la bonhomie – comme si le registre abattu, à travers sa réalisation en musique, suscitait aussitôt l’espoir. Fischer a en outre choisi pour débuter le concert Per questa bella mano, célèbre air pour basse, contrebasse et orchestre. En confiant les parties solistes de ces deux œuvres à des musiciens du Budapest Festival Orchestra dont il est le fondateur, le chef d’orchestre hongrois a en outre permis au public de goûter aux qualités multiples de cet ensemble.
Après leurs nombreux passages à Bruges, il n’est plus nécessaire de convaincre les habitués du Concertgebouw Brugge que le Budapest Festival Orchestra et son chef titulaire se sont ces dix dernières années frayé un chemin vers l’excellence internationale. De Bach à la musique contemporaine en passant par Bruckner et Mahler : Fischer et sa suite se sont précédemment produits à Bruges dans un répertoire éclectique. La troisième édition du Budapest Festival était néanmoins consacrée à une icône : Mozart. Ainsi, outre le programme décrit, La Flûte enchantée a été interprétée dans une version mise en scène. Même quand il n’est pas à l’opéra, Fischer s’entend à donner une allure théâtrale à un concert. Ce n’est pas un hasard si le chef d’orchestre a commencé à s’éventer avec une partition pendant le bis improvisé du clarinettiste Ákos Ács, qui puisait dans le folklore hongrois. Redonner de l’attrait à l’expérience totale d’un concert, voilà ce que Fischer propose autant dans les villes où il est chef titulaire que dans le monde entier. Un exemple novateur qui mériterait d’être davantage suivi.
Comme nous l’avons dit, le coup d’envoi du concert était donné par Per questa bella mano. Hanno Müller-Brachmann (basse) et Zsolt Fejérvári (contrebasse) semblent en tout cas bien savoir y faire en matière de « show ». Le premier a usé d’une gentille exagération, qui ne faisait aucun tort à l’œuvre. L’instrumentiste a ajouté avec grâce une touche virtuose au rire narquois du chanteur. L’orchestre ajoutait résolument sa touche de couleur, dans un dialogue naturel avec les deux solistes. Tout au long du Concerto pour clarinette, la partie d’orchestre est de même restée légère et transparente. Fischer a précisément caractérisé les identités musicales, sans restreindre la liberté du soliste. Ainsi qu’il convient idéalement, l’accompagnement créait l’oxygène que le soliste transformait avec verve en énergie créatrice. Ákos Ács n’a pas abusé de son rôle concertant pour se perdre en fioritures. Au contraire, il est resté très fidèle à la partition, dont il a parfaitement rendu le faste chatoyant dans les trois mouvements. Pas de lecture parfaitement impeccable, ni d’illustration assourdissante du message musical. Mais bien une interprétation vivante, franche et élégante.