C’est avec impatience que l’on attend le retour de Yannick Nézet-Séguin au Théâtre des Champs-Élysées, en se souvenant de la mémorable symphonie Titan qu’il avait donnée en octobre dernier, ou bien encore de sa Pastorale de février. Il est ici avec le Rotterdam Philharmonic Orchestra pour nous offrir un programme original de musique du XXème siècle : la première partie, états-unienne, sera celle de la suite symphonique On the Waterfront de Leonard Bernstein, suivie de la Rhapsodie in Blue de Gershwin. La seconde partie, russe, sera le lieu des Danses Symphoniques de Rachmaninov.
Yannick Nézet-Seguin s’affirme progressivement comme l’un des chefs les plus convaincants de sa génération, chacun de ses concerts à Paris ne faisant que le confirmer. Sincérité, enthousiasme, dynamisme, voilà autant de qualificatifs qui caractérisent en premier lieu le chef canadien. Dans un souci d’intelligibilité il incarne tout ce qu’il touche, il est le procréateur qui donne vie au moindre son. Tout le concert de ce soir ira dans ce sens.
La suite On the Waterfront ("Sur les quais") de Bernstein est à l’origine une musique composée pour le film éponyme d’Elia Kazan, film majeur du cinéma américain qui restitue le réalisme cruel du monde des dockers et la corruption du monde syndical. Dès les premières notes la pulsation y est rude, par le martèlement des percussions et du piano. Nézet-Seguin ne lésine pas sur le burin. Il s’investit totalement dans la radicalité des contrastes, dans le heurt des dynamiques. Il sait là où il va, et il n’en a pas peur.
Les réjouissances se poursuivent avec l’audacieuse Rapsodie in Blue de Gershwin et la pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili. Le fameux glissando initial de la clarinette est frappant : on ne retrouve pas la licité à laquelle bon nombre prétendent, mais plutôt une rugosité astringente ; la montée est loin d’être parfaitement régulière et ne retombe sur ses pattes qu’au dernier moment. Ces éléments, comme de nombreux autres, participent d’une spontanéité, d’une liberté qui agissent comme un souffle d’air frais génial et authentique, et se rapprochent de l’aisance décousue qui est parfois celle du jazz de cette époque. Le chef prend cette musique à bras le corps, lui donne du relief et du galbe, de la sensualité aussi.