Pour un genre qui a abordé sans complexe tant de facettes de la nature humaine (amours heureuses et malheureuses, sexualité, argent entre richesse insolente et pauvreté abjecte, soif de pouvoir, ambition guerrière…), l’opéra ne s’était à ce jour pas encore penché sur la scatologie dont on sait qu’elle est une source inépuisable de plaisanteries – pas toujours du meilleur goût – à tous les âges et dans tous les milieux quoique assez rarement abordée en public, bonnes manières et décence obligent. C’était compter sans l’esprit irrévérencieux de Philippe Boesmans dont On purge bébé ! aura été la dernière œuvre, le compositeur liégeois nous ayant hélas quitté cette année en laissant son ultime opéra quasi terminé, la dixième et dernière scène ayant été parfaitement achevée par son disciple Benoît Mernier.
Adaptée par Richard Brunel, qui signe aussi la mise en scène toute de drôlerie et de légèreté de cette création à La Monnaie, la pièce de Feydeau narre les tribulations de M. et Mme Follavoine dont l’insupportable et constipé rejeton Toto refuse absolument de prendre le purgatif qui lui libérerait les intestins. Manque de pot (si l’on ose dire), M. Follavoine – fabricant de porcelaine de son état – doit recevoir M. Chouilloux, fonctionnaire du ministère de la Guerre, dont il espère bénéficier de l’appui pour remporter un juteux marché de 300.000 pots de chambre destinés à l’armée française. L’affaire vire au tragi-comique pour le maître de maison dont les vases de nuit présentés comme incassables se brisent à la première comme à la deuxième démonstration. Lorsque Mme Follavoine évoque les tourments que lui cause son fils de 7 ans, M. Chouilloux se montre très intéressé voire enthousiasmé par la question, étant lui-même assez sensible des intestins.
Les parents continuent de cajoler l’infernal gamin qui refuse toujours de boire sa potion. Mme Follavoine laisse alors malencontreusement échapper que Chouilloux est cocu. Le malheureux se console en vidant la moitié du purgatif par erreur. Les choses ne s’arrangeront guère lorsqu’arrivent pour déjeuner Mme Chouilloux et son amant Truchet qu’elle présente comme étant son cousin. Ce dernier, soupçonnant Follavoine d’avoir vendu la mèche, lui colle une gifle. Désemparé, le porcelainier vide ce qui reste du purgatif avec les conséquences que l’on devine.
On rit de bon cœur de voir les représentants de cette ambitieuse et mesquine bourgeoisie ramenés à leur banale condition humaine en usant à qui mieux mieux des toilettes ou même du seau. Tant le livret que la musique évitent la grosse pantalonnade de ce qui n’aurait pu être qu’une pièce de boulevard avec rencontres malencontreuses et portes qui claquent au profit d’une fine distanciation, d’une subtile critique sociale et d’un humour qui va bien au-delà du simple pipi-caca. Philippe Boesmans traite tout ceci avec une légèreté bienvenue, optant pour une approche syllabique qui donne priorité à l’intelligibilité du texte mais qui a aussi recours à de fines citations des Hébrides de Mendelssohn, de la « Méditation » de Thaïs de Massenet ou même du tétracorde ascendant de Parsifal. Les décors d’Étienne Pluss qui restituent joliment l’intérieur bien bourgeois des Follavoine sont un régal, comme les costumes très réussis de Bruno de Lavenère.