Le concert donné par l’Orchestre Philharmonique de Radio France mettait côte-à-côte deux chef-d’oeuvres aux dimensions prométhéennes : le fascinant premier Concerto pour Violoncelle de Chostakovitch, et la colossale Symphonie Héroïque. Un programme monumental, exigeant de la part des interprètes des parti-pris d’interprétation sans concessions, et un art des contrastes qui l’est tout autant. Le contrat fut rempli pour Xavier Phillips, dont le jeu très physique parvint à susciter la furieuse transe que cette musique exige. En revanche, le travail de Ludovic Morlot n’alla pas au delà de son incontestable rigueur, et ne parvint à transcender les musiciens, dont on ne put ce soir que deviner l’indéniable talent.
Avant le plat de résistance, la Suite de L’Amour des Trois Oranges de Prokofiev : mise en bouche un peu superflue, étant donné le reste du programme. La partition, très rythmée, aurait pourtant pu être mieux conduite ; le chef peine à entraîner l’orchestre dans les tempi qu’il imprime à sa battue. Le Philhar' n’est pourtant pas de ces orchestres qui n’en font qu’à leur tête ; on soupçonne que l’efficacité de la battue de Ludovic Morlot, pourtant précise, soit bridée par le manque d’ouverture des coudes, presque vissés à son corps ; inévitable conséquence, le chef ne semble pas avoir de réelle assise sur ses musiciens.
Il y a quelque chose d’un Mischa Maïsky dans le Chostakovitch de Xavier Phillips : d’abord cette façon de prendre l’œuvre à bras le corps, d’impliquer les muscles dans ce qui passe pour être un exercice éminemment physique ; ensuite, la définition des articulations, notamment ces accents gonflés à l’hélium, trouvant par là leur légèreté ; mais surtout, cet art de développer un matériau sonore brut, compact, où l’on ressent la hargne d’une énergie qui fulmine. Ainsi le premier mouvement, où le thème quasi senza vibrato a le tranchant d’une lame de rasoir. Quelle extase de sentir ce vibrato bouillonnant s’éveiller dans les mouvements suivants ! Voir jouer Xavier Phillips, c'est sentir le mouvement de patterns au niveau des bras, tournant sur eux-mêmes, portés par une force matricielle, magnétique, sans qu'aucune fatigue n'entrave cette mécanique : au contraire, le soliste n'a de cesse que de pencher la tête et, religieusement, d'écouter le son produit. Car malgré l'aspect très terre-à-terre de son jeu, on reconnaît en Xavier Phillips un authentique amoureux du son, de sa qualité, de sa texture. La fiabilité du soutien sonore et rythmique emporte mieux les musiciens que la gestuelle de Ludovic Morlot. Parmi eux, on soulignera la présence presque concertante de David Guerrier au cor. Son vibrato acide, mais jamais criard, son timbre rond atteignent ce soir à la perfection leur objectif : nous mettre mal à l'aise.