385 créations (trois de plus avec le concert de ce soir), 200 CD, des Gramophone Awards, le Preis der deutschen Schallplattenkritik… Voilà cinquante ans de travail au service de la création contemporaine que le Quatuor Arditti fête dans l’Amphithéâtre de la Cité de la musique. Des premiers membres, il ne reste aujourd’hui qu’Irvine Arditti, premier violon et fondateur du quatuor. Le concert est d’ailleurs dédié à la mémoire du violoncelliste Rohan de Saram, décédé en septembre, qui a porté le répertoire contemporain au cœur de l’ensemble. Pour les trois créations au programme de ce soir comme pour le classique et merveilleux Grido d’Helmut Lachenmann, les quatre musiciens vont encore une fois témoigner de leur maîtrise irréprochable des modes de jeu et de leur grande déférence envers les compositrices et compositeurs d’aujourd’hui.
Diana Soh nous offre tout d'abord dix minutes de plaisir avec And those who were seen dancing, une musique protéiforme. La compositrice singapourienne fait musicalement état de la folie : celle qui irrigue l’œuvre des compositeurs contemporains et celle des interprètes au service d’une musique trop souvent dépréciée. De courtes cellules s’imbriquent et se tuilent dans des épisodes intenses et contrastés dominés par de nombreux modes de jeu : pizz Bartók, jeu col legno, harmoniques, jeu sur le chevalet… Si l’archet produit une note distinguable, c’est toujours avec un timbre ou un effet particulier. Avec les Arditti, toutes les sonorités se révèlent avec finesse et intensité. Le premier épisode formé de couinements aigus laisse rapidement place à une captivante ritournelle jazzy décharnée, comme si elle sortait d’un disque endommagé. Aux grincements et pizz Bartók s’ajoutent bientôt les voix des quatre musiciens. Souffle, impacts, ces sons bruiteux rentrent en résonance avec les motifs rythmiques instrumentaux, révélant une polyrythmie encore plus dynamique et complexe.
Les innombrables modes de jeu et l’utilisation de la voix relient l’œuvre de Diana Soh à celle de la compositrice Cathy Milliken, In Speak. Un poème, déclamé par les quartettistes, a spécialement été écrit pour la pièce par Matthew McDonald. La vocalité intervient également avec des onomatopées, des souffles, des râles, des chuchotements. Un moment hors du temps se profile quand, sur des tenues mouvantes, les musiciens sifflent des sons complémentaires, créant une atmosphère nocturne. Dans le reste de la pièce, même si des fulgurances bruiteuses ponctuent la musique, le matériau de premier plan se construit par blocs engageant les mêmes modes de jeu. Cathy Milliken va jusqu’à faire d’un geste sabré des archets dans l’air un matériau musical et théâtral qui clôt la pièce, prise en main sans faille par les Arditti. Cette richesse du dialogue et du discours, sublimée par la maîtrise des modes de jeu (tant chez la compositrice que chez les musiciens) fait la réussite d’In Speak.