Beethoven aurait-il eu autant de génie sans le talent du Quatuor Ebène ? Et de quel surnom n’a-t-on pas affublé le n°2 op.18 n°2 : « Complimenter Quartett » sous prétexte des supposées génuflexions harmoniques de son premier mouvement ! Courbettes à son dédicataire le prince Lobkowitz ? Mais nous étions tous princes lundi soir à l’opéra de Clermont avec les Amis de la Musique : comble jusqu’au deuxième balcon ! Et les Ebène nous ont heureusement fait grâce des révérences et déférences. Le maître de Bonn n’y était après tout pas trop enclin. D’accord, l’allegro initial se caractérise par sa souplesse d’élocution mais il reste acéré, incisif. Plutôt que de se laisser porter par l’esthétique certes brillante de l’écriture, ce carré d’as virtuose en donne prioritairement à entendre son extraordinaire inventivité syntaxique et son irrésistible vitalité. Aucune emphase dans la véhémence mais une maîtrise assumée. Une sorte d’immanence beethovenienne. Le Quatuor Ebène ne joue pourtant que Beethoven, mais tout Beethoven, dans toute sa richesse de climats, toute sa plasticité de reliefs, toute la spontanéité de ses imprévisibles chromatismes. Un Adagio libre, délié, perspicace et d’une poétique diaboliquement efficace. Cependant rien d’extraverti, pas une once surjouée et pourtant une luxuriance de l’épure qui culmine dans ses respirations de l’Allegro molto quasi presto comme des oasis de doute métaphysique, des questionnements d’une sereine amplitude.
Provocant autant que périlleux d’enchaîner sur l’op. 121 de Fauré ! Mais cet espace de solitude contemplative s’imposait comme une nécessité entre la densité harmonique et les complexités rythmiques de l'op.18 n°2 précédent, et le Quatuor n°8 en mi mineur op.59 n°2 à venir de Beethoven. Le Quatuor Ebène a su capter la légèreté organique et traduire les transparences de cette page singulière, testament apaisé d’un Fauré qui se savait sur le départ. Les interprètes en ont évité un pathos où s’échouent trop de lectures sans nuances. L’œuvre demeure supérieurement exigeante, redoutable quant à l’esprit sinon la lettre. Ebène en a saisi les fluides et magnétiques abandons. La quintessence du charme fauréen ne réside pas ailleurs que dans cette ferveur suspendue, cet art du silence supérieurement mesuré à l’aune d’une pudique mais omniprésente spiritualité qui n’était pas un mince paradoxe chez un créateur agnostique. En atteste la prégnante élégie de l’Allegro moderato initial. Fauré entrevoit, s’il ne les appelle pas de ses vœux, les images de ce « monde flottant » qui lui est promis. Et ça, il faut rendre grâce aux Ebène d’en avoir compris la japonisante douceur élégiaque et de nous la faire partager. Notamment à travers la tendresse aérienne et l’incroyable montée en tension de l’Andante. Là aussi les interprètes tournent le dos à une gravité qui en interdirait d’en percevoir la lumière intérieure. Omniprésente, la mélancolie n’est que suggérée dans leur lecture engagée s’accordant à la ductilité d’une page singulière.